LEMONDE.FR | 18.05.10 | 09h21 • Mis à jour le 18.05.10 | 15h08
http://www.lemonde.fr/opinions/article/2010/05/18/israel-dans-l-ocde-n-acceptons-pas-l-inacceptable-par-monique-cerisier-ben-guiga_1353065_3232.html
L’OCDE va se prononcer sur l’admission d’Israël en son sein. Cette candidature, au moment où elle intervient, ne peut pas nous laisser indifférents.
NI PAIX, NI PROCESSUS
Les mots ont un sens. Ne les galvaudons pas. Entre Israël et les Palestiniens il n’y a, en ce moment, pas plus de paix que de processus, mais une occupation et un blocus. Pour faire la paix, il faut des négociateurs et qu’ils veuillent négocier. Le mouvement palestinien est durablement déchiré. Entre le Fatah de Mahmoud Abbas et le Hamas de Khaled Mechaal il y a les élections volées de 2006 et les morts de l’opération cast lead. Le fossé qui les sépare ne sera pas comblé. De Gaulle et Pétain n’auraient jamais formé un gouvernement d’union nationale. Pourtant, faute d’interlocuteur, personne ne peut parler au nom de la Palestine. Marwan Barghouti aurait, peut-être, pu le faire. Mais il croupit en prison et Israël ne l’en fera pas sortir, même en échange du soldat Shalit. Salam Fayyad est un sage et un honnête homme, mais son autorité s’étend elle au-delà de Ramallah ? Quant à Israël, il est politiquement trop faible pour pouvoir faire la paix et militairement trop fort pour en avoir besoin. Netanyahu accorde plus de prix à la parole du dernier de ses ministres, qu’à celle du président des Etats-Unis. S’il ne le faisait pas, son gouvernement tomberait. Représentation proportionnelle oblige. Il le sait, il en abuse et dit : “tuez-moi si vous l’osez !”. Militairement, les forces israéliennes ont une telle supériorité, tant conventionnelle que nucléaire, qu’elles dissuadent tout adversaire potentiel, aussi bien les Etats que les milices. Au-delà des rhétoriques démagogiques, plus personne ne songe sérieusement à détruire Israël.
Puisque les protagonistes ne feront pas la paix d’eux-mêmes, peut-on les y contraindre ? Le président Obama a changé la donne. Il s’est saisi du dossier israélo-palestinien dès le début de son mandat. Il a tendu la main, avec sincérité. Personne ne l’a prise. Qu’il torde donc le bras, peut-être on l’écoutera. Le peut-il ? Il doit composer avec un Congrès, sensible au lobby pro-israélien qui, tel le cornac sur le dos de l’éléphant, lui indique son chemin et oblige sa secrétaire d’Etat à des professions de foi suspectes à force d’être répétées. L’Europe pour sa part paye, mais ne décide pas. Elle est le mulet derrière l’éléphant, que l’on ne prend même pas en considération. Depuis quarante ans nous avons donné plus d’argent pour les Palestiniens que nous n’en donnerons jamais pour les Grecs. C’est pourtant à Israël, puissance occupante, qu’il appartiendrait de payer, en application de la convention de Genève. Quant à Tony Blair, représentant du Quartet, il est depuis longtemps aux abonnés absents.
L’INCAPACITÉ DES LEADERS RÉGIONAUX
Tous les leaders régionaux ont failli. Les palestiniens ont trop souvent mésestimé les rapports de force et mal joué leurs cartes. Les leaders du Fatah ont développé le clientélisme et la corruption qui ont ouvert la voie au Hamas. Les leaders du Hamas ont incité les attentats suicides, ce qui a nourri l’image d’un mouvement “terroriste” et “fanatique” aujourd’hui prétexte à ne pas entamer les pourparlers avec eux. Or comment faire la paix si on ne parle pas à ses ennemis ? Les leaders israéliens portent une responsabilité tout aussi écrasante. Au lendemain d’Oslo, la paix était possible. Comme l’a affirmé le président de la République française dans son discours à la Knesset, c’est “quand on est fort, qu’on doit tendre la main”. Yitzhak Rabin a tendu la main et a été assassiné par un des siens. Puis Ariel Sharon, Tzipi Livni et Ehud Barak n’ont eu de cesse de montrer qu’ils seraient plus durs que la concurrence. Quant à Netanyahou il s’est moqué de son “ami” Sarkozy et fait le gros dos devant Obama. N’y a-t-il dans ce pays, pourtant si riche d’intelligences, aucun homme d’Etat digne de ce nom ? Israël a-t-il autant changé ? Il est vrai que les kibboutz sont bons pour le musée et que les ultra-orthodoxes forment le quart de la population. Sait-on que ces ultras n’ont accepté l’Etat – israélien – que du bout des lèvres, qu’à leurs yeux c’est la Torah qui doit être la source de toute législation et que la seule autorité reconnue est celle de leurs rabbins ? Cela ne vous rappelle rien ?
ISRAËL NE FAIT PAS PARTIE DE L’OCCIDENT
Dans la feuille de route pour accéder à la convention de l’OCDE, il est clairement indiqué qu’Israël doit démontrer son attachement aux valeurs fondamentales partagées par tous les membres de l’OCDE. Ces valeurs incluent le respect des droits de l’homme et l’adhésion aux objectifs de la Charte des Nations unies. Or, non seulement Israël exerce sa souveraineté sur quatre millions de Palestiniens qui vivent sous un régime d’occupation militaire et il est responsable de leur condition, mais de plus Israël est responsable de trois autres millions de Palestiniens qui vivent en exil au Liban et en Jordanie avec tous les troubles que cela occasionne, au sein de ces Etats. Non seulement Israël ne respecte pas les résolutions des Nations unies, mais elle ne respecte pas non plus les principes du droit humanitaire. J’ai été à Jérusalem et j’ai vu le mur de séparation qui est une tache infâme sur le mot “démocratie”. J’ai été à Gaza, le 29 janvier 2009, dix jours après la fin de l’opération cast lead et j’ai vu brûler le phosphore blanc au pied de l’hôpital d’Al Quods et du dépôt de l’UNWRA. J’ai vu ce qu’ont fait les bulldozers israéliens. Je suis passé au terminal d’Eretz. J’ai vu les murs et les barbelés. Et j’ai eu l’impression d’avoir déjà vu. Israël nous manipule, manipule notre mauvaise conscience. Pourquoi ne fait-on pas des films sur le massacre de Deir Yassine ou sur le massacre de Gaza ? Pourtant l’impensable est arrivé ! L’armée d’Israël a commis des crimes contre l’humanité à Gaza. C’est le juge Goldstone qui l’a démontré en 500 pages. Il est un Juste entre les nations. Il est l’honneur des Juifs.
ADMETTRE ISRAËL DANS L’OCDE, C’EST TRAHIR NOS VALEURS ET METTRE EN DANGER NOTRE SÉCURITÉ
Israël écrira son propre destin avec son propre sang. S’il ne veut pas de deux Etats et pas davantage de l’Etat binational, alors quoi ? L’apartheid ? Les Israéliens se sont enfermés eux-mêmes dans des murs et tournent le dos à l’Orient dans lequel ils habitent. Ils se verraient bien en cinquante et unième Etat des Etats-Unis. Pourtant, comme l’affirmait le président de la République française : “l’avenir c’est qu’on ne change pas d’adresse. L’avenir, c’est qu’il faudra faire la paix un jour”. Les Israéliens ont choisi de ne pas choisir et d’attendre qu’un autre président des Etats-Unis soit élu. Ni les Etats-Unis, ni l’Europe, ni la France ne se donnent les moyens d’infléchir ce choix. Leurs priorités sont ailleurs. Jusqu’au prochain attentat, à New York ou à Paris.
C’est pourquoi, il ne faut pas admettre Israël dans l’OCDE, pas plus qu’il ne faut “rehausser le partenariat” qui le lie à l’Union européenne, tant que durent l’occupation et le blocus et tant que la paix ne sera pas signée. Si nous ne le faisons pas pour les Palestiniens, faisons le pour nous-mêmes, pour notre dignité, pour nos valeurs, pour notre sécurité.
Monique Cerisier-Ben Guiga est sénatrice et co-auteure du rapport sénatorial Le Moyen-Orient à l’heure nucléaire.
Aucun commentaire jusqu'à présent.