Le Blog de Jean Emmanuel Ducoin
vendredi 29 octobre 2010



On trouve décidément de tout sur les « murs » de Facebook. Il y a peu, sur celui de Pierre-André Taguieff, philosophe, historien et directeur de recherche au CNRS, nous avons eu le déplaisir de lire des propos qui, cette fois, ont dépassé les bornes – loin s’en faut. Coupable à ses yeux de se montrer « hostile » à Israël en ayant récemment appelé à la campagne de boycott des produits israéliens fabriqués dans les territoires occupés, Pierre-André Taguieff a osé paraphraser un texte de Voltaire pour évoquer la figure de Stéphane Hessel, diplomate, ambassadeur, ancien résistant français et l’un des rédacteurs de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Je cite Pierre-André Taguieff :
« Un soir au fond du Sahel,
un serpent piqua le vieil Hessel,
que croyez-vous qu’il arriva,
ce fut le serpent qui creva. »
Vous avez bien lu… Et Taguieff d’ajouter, sans ambiguïté :
« Quand un serpent venimeux est doté de bonne conscience, comme le nommé Hessel, il est compréhensible qu’on ait envie de lui écraser la tête.»
Aussi incroyable que cela puisse paraître, ces mots n’ont provoqué que très peu de réactions, si ce n’est celle du MRAP, en la personne de Mouloud Aounit, qui, dans un court entretien donné au JDD.fr, a jugé ces propos «inacceptables de la part d’une autorité scientifique du CNRS» et «offensants à l’égard de celui qui avait partiellement rédigé la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948».
Pierre-André Taguieff a depuis refusé de réagir, renvoyant ceux qui tentent de le contacter à la lecture du dernier commentaire posté sur son « mur » Facebook concernant Stéphane Hessel : «Il aurait certainement pu finir sa vie d’une façon plus digne sans appeler à la haine contre Israël joignant sa voix à celle des pires antijuifs.»
Rappelons que Stéphane Hessel, qui est l’une de nos consciences occidentales, n’a jamais, absolument jamais, appeler à « la haine contre Israël », bien au contraire. Réclamer aujourd’hui le boycott des produits israéliens fabriqués dans les territoires occupés – et non pas tous les produits israéliens – est un devoir pour tous les citoyens soucieux de justice internationale et favorables à une solution de paix au Proche Orient. Chacun sait que la situation faite aux Palestiniens ne peut plus durer… Stéphane Hessel a raison !
Mais ce n’est pas tout… Interrogé il y a une semaine sur Radio J, Pierre-André Taguieff a d’abord tenté de relativiser cette polémique en indiquant que «Facebook n’est pas une publication CNRS» : «On ironise, on lance des formules sarcastiques», a-t-il indiqué. Comme si tout y était autorisé… Mais ça ne suffisait pas. Taguieff n’a pas hésité à profaner la propre histoire de l’homme : «Si Stéphane Hessel a bien été déporté politique – triangle rouge – à Buchenwald et à Dora, sa maîtrise de la langue allemande lui a permis d’obtenir rapidement un emploi au sein de la hiérarchie au service des gardes-chiourmes du camp et il n’a partagé en aucune manière le sort des détenus juifs- triangle jaune- voués quant à eux à des tâches exténuantes jusqu’à leur extermination. Donc quand on le présente comme un rescapé de la Shoah c’est une imposture.» Et Taguieff d’ajouter : «Son identité juive inexistante, il l’utilise quand ça lui sert pour légitimer ses appels à la haine contre Israël.»
Voilà ce dont a été capable Pierre-André Taguieff. Pour lui, Stéphane Hessel serait donc un imposteur qui se serait mis au service des gardes-chiourmes des camps de la mort… Pour lui, Stéphane Hessel ne serait pas même juif et usurperait le monde… Pour lui, critiquer la politique xénophobe des dirigeants israélien revient à se montrer anti-israélien – et pourquoi pas antisémite tant qu’on y est ?
Inutile de dire que nous sommes solidaires de Stéphane Hessel et il serait bien que l’indignité des propos de Monsieur Taguieff soit reconnue. Par le CNRS d’abord, d’ordinaire sourcilleux des agissements de ses membres. Par la justice ensuite, si nécessaire.
Depuis des années, Stéphane Hessel a mis sa notoriété et son prestige personnel au service de la reconnaissance des droits des Palestiniens. Plus que jamais, nous sommes à ses côtés.
(Jean-Emmanuel Ducoin est rédacteur en chef de L’Huma).