17 Novembre 2010 Par

Carine Fouteau

· Les membres du réseau Éducation sans frontières (RESF), activement engagés en faveur de la régularisation des sans-papiers, savent qu’ils font l’objet d’une étroite surveillance de la part des services de renseignement de l’État, tant ils sont considérés comme de dangereux gauchistes par l’exécutif. Mais ils n’ont pas l’habitude d’être approchés ouvertement. Et encore moins d’être pris pour des indics.

D’où la surprise des militants de Seine-Saint-Denis lorsqu’ils ont reçu, le 9 novembre, à l’ ad resse électronique de leur collectif (resf93@gmail.com), le mail d’un lieutenant du service territorial de renseignement du 93, attaché à la Direction du renseignement de la préfecture de police de Paris, demandant ni plus ni moins des informations sur une réunion à venir organisée à la Bourse départementale du travail de Bobigny. Pas n’importe laquelle, une session de formation sur les Roms et les actions à mettre en œuvre pour éviter leur expulsion.

Après les reconduites à la frontière massives orchestrées l’été dernier par Brice Hortefeux et Éric Besson dans le sillage du discours de Grenoble du 30 juillet 2010 de Nicolas Sarkzoy, la démarche apparaît pour le moins «décomplexée».

Et le ton du mail est à l’avenant, déconcertant. Le voici: «M ad ame, Monsieur, Je me permets de vous écrire pour vous demander un complément d’information quant au cycle de formation que vous organisez prochainement sur Bobigny. En effet, il me semble qu’une première session aura lieu sur le thème Solidarité Roms: que faire? le samedi 20 novembre prochain. J’aurai(s) voulu savoir sur combien de participants vous tabliez pour l’occasion. De même, pourriez-vous m’informer de la teneur des autres sessions à venir? En vous remerciant, je vous souhaite une bonne journée, Bien cordialement.» Suivent le nom et les coordonnées du requérant. L’objet choisi pour le mail: «solidarité rom, que faire».

«C’est la première fois qu’on nous sollicite de la sorte, témoigne Jean-Michel Delarbre, militant à RESF 93 et ad ministrateur de la liste de diffusion avec deux ou trois autres personnes. Nous avons été très surpris et, évidemment, nous n’avons pas donné suite.»

Les informations sur les sessions de formation, qui s’ ad ressent en priorité aux membres du réseau, sont censées n’être diffusées que sur la liste interne.«Nous savions que nous étions fichés, répertoriés et que notre liste de diffusion privée était surveillée, dit-il. Je suis d’ailleurs persu ad é que parmi les inscrits, certains n’ont pas pour principal souci la défense des sans-papiers… Il n’est pas rare que lors de nos rassemblements impromptus, devant la préfecture par exemple, les policiers n’aient pas l’air surpris de nous voir débarquer. Et puis, dans les manifs, ils sont toujours là. Les RG, on les repère. Ils viennent nous voir, très conviviaux, et ils nous posent des questions. C’est la méthode à la papa. Personne n’est dupe, mais bon.»

Cette fois-ci, la surveillance se fait à visage découvert. Plus besoin de fausses barbes ou de faux b ad ges RESF pour se fondre dans le décor. «Là, c’est nouveau, souligne Jean-Michel Delarbre. Le fait de nous écrire directement comme ça montre une banalisation de leur démarche. Comme s’ils trouvaient normal de nous surveiller, comme s’ils essayaient de faire passer leurs pratiques pour quelque chose d’ordinaire. Dernièrement, une animatrice du collectif de Bobigny a, elle, reçu un coup de téléphone de quelqu’un se présentant de la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur) qui voulait aussi avoir des informations sur cette même réunion, s’il y aurait beaucoup de monde, sur qui était le chef du réseau, alors précisément qu’il n’y a pas de chef…, tout ça sur un ton très aimable, évidemment!»

«Nous voyons dans ces tentatives, insiste-t-il, une volonté d’habituer militants associatifs et citoyens à cette surveillance active et permanente du mouvement social, hier un peu artisanale, aujourd’hui électronique. La société de surveillance se banalise, vise à obtenir l’acquiescement au moins tacite des citoyens, voire requiert maintenant une participation active à leur propre surveillance.»

Sollicité, l’auteur du mail, après avoir mis en avant son «devoir de réserve», indique «ne pas comprendre» l’intérêt que suscite cette demande d’informations. «Prendre contact avec les associations sur les actions qu’elles comptent mener est une pratique courante des ex-RG», ajoute-t-il, assurant qu’«il n’y a rien de tordu dans tout cela». Et confirmant que RESF n’a pas répondu à son mail.