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Ockrent éclaboussée par une étrange affaire

Publié le 3 décembre 2010 à 19h00 20 réactionsImprimer

Est-ce une coïncidence ou la conséquence du départ de Bernard Kouchner du Quai d’Orsay ? Toujours est-il que moins d’un mois après le remaniement ministériel éclate, au sein de l’Audiovisuel Extérieur de la France (AEF), une affaire d’une gravité exceptionnelle, qui pourrait atteindre directement sa directrice déléguée, Christine Ockrent, à la ville compagne de Bernard Kouchner. Avant d’entrer dans le détail de ce scandale sorti par Emmanuel Berretta, il convient de donner quelques éléments de contexte permettant d’en comprendre les tenants et aboutissants.

AEF est une holding publique qui gère Radio France International (RFI) et la chaine d’information télévisée en continu France 24, détenues à 100% par l’Etat français et la participation de la France (49%) dans TV5 Monde, une chaîne généraliste francophone à laquelle participent également la Suisse romande (TSR), la Belgique (RTBF) et le Québec (Radio Canada).

L’ancien patron du groupe de pub Havas, Alain de Pouzilhac, en est le PDG et Christine Ockrent la directrice générale déléguée, responsable des rédactions.

Ceux qui la critiquent : de vilains machistes

La nomination de cette dernière à ce poste avait déjà fait jaser dans le landerneau médiatico-politique : la tutelle de l’Etat sur AEF était en effet exercée par le quai d’Orsay, et la proximité de Mme Ockrent avec le ministre en exercice pouvait alimenter quelques soupçons de népotisme. Tous les amis de Christine, et ils sont nombreux dans les hautes sphères médiatiques et politiques, sont alors montés au créneau pour dénoncer ces vilains machistes qui osaient suggérer que cette nomination n’était pas due seulement aux époustouflantes qualités professionnelles de la dame. Passez votre chemin, manants, et laissez la reine Christine combattre CNN et la BBC comme jadis Jeanne d’Arc s’efforçait de bouter l’Anglois hors du royaume de France. Ces exploits supposés justifiaient par ailleurs une rémunération annuelle qui, à en croire les confrères, se monterait à 310 000 €.

Pour la forme, la tutelle d’AEF fut transférée du Quai d’Orsay à Matignon, mais cela ne trompa que les couillons. Le ministre des Affaires étrangères gardait toujours un œil vigilant sur l’écran de France 24 et une oreille attentive aux émissions de RFI.

Malheur à ceux qui, comme Grégoire Deniau et Bertrand Coq, rédacteurs en chef de France 24, auteurs de livres et de documentaires insuffisamment complaisants envers le French doctor, osent défier Christine ! Ils sont débarqués sans ménagements. Car elle est comme ça, la Christine, tout sourire à l’extérieur et méchante comme une teigne dans les endroits où on a l’imprudence de lui confier quelque pouvoir. Sa méthode : diviser pour régner, mettre le souk au sein des rédactions en montant les uns contre les autres pour apparaître comme la reine tranchant souverainement les conflits. Lors un passage digne d’Attila à la tête de la rédaction de l’Express dans les années 90, elle fut affublée du surnom de Caïus Detritus, ce légionnaire romain de La Zizanie qui sème la discorde dans les troupes de César.

Cette propension à monter les gens les uns contre les autres se double d’une paresse personnelle infinie pour tout ce qui n’est pas paillettes et promotion d’elle-même. Les mauvaises langues susurrent que cette « grande professionnelle » fait parfois appel à des « nègres » pour écrire les ouvrages qui ajouteront à sa gloire. On n’ose le croire. Mais Vincent Peillon se souvient fort bien qu’en 1995, alors qu’il était un jeune prof de philo à peine entré en politique comme conseiller de Lionel Jospin, la dame l’avait sollicité pour « l’aider » à écrire un livre sur l’élection présidentielle à venir. Vincent Peillon avait alors décliné cet honneur, ne « sentant pas » la thèse que voulait alors développer Ockrent, à savoir que les candidats présents lors de cette élection ne le seraient pas lors de la suivante. Jospin, Le Pen et Chirac ayant remis le couvert en 2002, Peillon a bien fait de passer son chemin…

Alain de Pouzilhac, qui a gardé de juteuses activités dans des conseils d’administration divers et variés, dont l’activité casinotière, ne s’occupe que des aspects « business » d’AEF, notamment en négociant les conditions de diffusion de France 24 et RFI par les sociétés de câble ou de satellites dans le monde entier. Il mène également une dure bataille de réductions d’effectifs à RFI contre les syndicats de la maison. Il a laisse donc la bride sur le cou à Christine pour toute les questions rédactionnelles, jusqu’au moment où il s’aperçoit que cette dernière a fait embaucher en douce une trentaine de collaborateurs francophones à France 24, sans que ces emplois soient prévus au budget. Fou furieux, il demande la tête d’Ockrent à Sarkozy, qui la lui refuse. Néanmoins, l’homme-lige d’Ockrent au sein de la rédaction, Vincent Giret, est viré.

L’addition de la liste des cadres de la maison qui ont fui les méthodes ockrentiennes et de celle des membres actuels de la rédaction qui se taisent pour ne pas mettre en danger leur poste dans un contexte de chômage massif dans la profession coïncide à peu de choses près avec le tableau des effectifs.

Système d’espionnage interne

Pour tous ceux-là, la découverte de la mise en place d’un système d’espionnage interne dans AEF dans lequel il n’est pas exclu que Christine Ockrent soit impliquée tombe comme pain bénit, même si tout le monde reste encore à couvert. On ne sait jamais, la bougresse peut encore s’en sortir… Mais cela semble difficile lorsque l’on découvre que les boites mails du principal collaborateur de Pouzilhac, le diplomate Frank Melloul détaché à AEF comme directeur de la stratégie, sont piratées depuis son domicile par Candice Marchal, la plus proche collaboratrice d’Ockrent, avec la complicité de l’entreprise extérieure en charge de la « sécurité des réseaux ». Le patron de cette société de services, Thibaut de Robert, a été introduit dans la maison par Ockrent elle-même, après avoir longtemps travaillé pour BK Conseils, la boite de consultants qui faisait vivre Kouchner quand il n’était pas ministre. Toutes les informations confidentielles, en principes réservées au PDG atterrissaient ainsi sur l’ordinateur personnel de Candice Marchal.

Cette dernière a immédiatement été mise à pied et la justice est maintenant saisie de l’affaire. Lors de la réunion du comité exécutif d’AEF du mercredi 1er décembre, Christine Ockrent s’est défendu bec et ongles, affirmant n’être en rien mêlée à cette crapoteuse entreprise. Plus, elle contre-attaque en mettant en cause Frank Melloul pour avoir annoncé au Point qu’il allait porter plainte. Dans la maison, du PDG Alain de Pouzilhac au plus humble lampiste, personne ne croit une minute que Candice Marchal ait manigancé de sa propre initiative cet espionnage informatique. L’intersyndicale d’AEF a demandé de rencontrer séparément Alain de Pouzilhac et Christine Ockrent pour entendre leur point de vue sur cette affaire, se réservant le droit, une fois son opinion faite de demander les mesures nécessaires aux autorités de tutelle. Aux dernières nouvelles, Alain de Pouzilhac aurait décidé de passer en force et de licencier Christine Ockrent pour « faute grave » mettant tous les amis de cette dernière au cœur du pouvoir devant le fait accompli.

Nicolas Sarkozy aurait en effet promis à Bernard Kouchner de ne pas couper la tête de Christine après son départ du Quai. Mais les promesses, c’est bien connu, n’engagent que ceux qui les écoutent.

L’auteur

Luc Rosenzweig est journaliste.