“Franchement, je n’en reviens pas du Caire….et j’y suis toujours ! “, par Jean-Philippe

Un récit drôle et bien senti de Jean-Philippe, qui comme nous tous, a du mal à atterrir, après cette expérience commune inédite.

Franchement, je n’en reviens pas du Caire….et j’y suis toujours !

Palestine Vivra, Palestine Vaincra ! Chacun ses slogans puisque son Excellence Jean FELIX-PAGANON (ambassadeur de France en Egypte et dont le double patronyme à lui seul indique assez bien les prérogatives) avait bien les siens : Non à la pagaille ! Pagaille, Non !

Eh bien, franchement, sur ce coup, ce fut raté, m’sieur de l’Embarassade de la France, monsieur du passeport-pipi . Vous avez dû confondre : nous, nous n’avions que des peace-passeport ! Quand je pense que Ferré gueulait y’a quelques années encore : Poètes, vos papiers ! La muse diplomatique a préféré quant à elle éructer un autre refrain, nasillard (dommage que ça ne s’écrive pas avec un « z ») : Pisseurs, papiiirs ! A pisser de rire !

Bref, tous ces procédés et procédures visant à semer la désunion, à nous rendre la vie insupportable dans la bande de Giza avec l’espoir insidieux d’en écourter le séjour, ne fit que raffermir notre détermination et notre cohésion et titiller de surcroît notre imagination quant aux actions à mener dans la capitale égyptienne !

Du Caire, je n’en suis toujours pas revenu ! Je n’en reviens pas de ce que nous avons vécu et fait. Je ne connaissais personne ou presque, mais je n’ai rencontré que des gens de tous âges et d’horizons bien différents et que j’ai envie de retrouver très vite. Ma voix exténuée, usée jusqu’à la corde, ne m’a pas suivi à mon retour à Paris, elle est restée là-bas, et je la connais, l’irrévérencieuse, elle continue à gueuler, à résonner, raisonner, et à arraisonner le peuple égyptien qui de jour en jour, de façon exponentielle, a manifesté, discrètement ou plus ouvertement son soutien à la cause que nous défendions, en dépit du gouvernement autoritaire qui le réduit au silence. Braves gens, frères des Palestiniens, je sais que vous ne vous laisserez plus drainer encore très longtemps par ce pouvoir qui relève de la dictature et se rend complice du génocide palestinien !

Camarades marcheurs, camarades campeurs, au risque de répéter ce que d’autres auront déjà écrit, permettez-moi de jeter ici, presque en vrac, une chronologie même bousculée de mon séjour d’activiste pacifique au Caire, mes ressentis, mes exaltations, le stress toujours mêlé à l’allégresse, comme jamais de ma vie ! Car “nous partîmes trois cents ; mais par un prompt renfort – nous nous vîmes là-bas des millions de Cairotes.” Et cela me frappe et m’émeut d’autant plus que je n’ai pu m’empêcher de percevoir, à travers ces presque 1400 internationaux, les ombres relevées et dignes des 1400 Palestiniens massacrés au cours de l’opération « Plomb durci » de l’hiver dernier. Qu’on me pardonne ce rapprochement pour ce qu’il peut avoir de déplacé, mais je n’ai pu durant tout le séjour chasser cette pensée pour ce qu’elle a de symbolique.

Le lendemain de notre arrivée, pleins d’enthousiasme et bien que nous ayons eu quelques informations dans l’après-midi nous laissant craindre que nous n’aurions pas les cars pour nous emmener à Rafah, dès 17h, l’immense partie d’entre nous, déjà rassemblée devant l’ambassade de France, attendait le reste de la troupe de marcheurs et l’arrivée de nos transporteurs prévue pour 19h ! Nous allions vite déchanter, mais nous allions aussi sortir nos chants de dedans nos paquetages et entonner les multiples ça ira pour Gaza et la Palestine !

La chorale était prête, restait à installer les pupitres ; et puis fi des pupitres, après tout, nous connaissions la musique et vers les 21h (mais je ne sais pas vraiment l’heure qu’il était), comme un seul homme nous nous sommes déversés sur les quatre voies de l’avenue Charles-de-Gaulle dont nous avions bloqué la circulation pendant plusieurs heures. Faut croire que notre musique engageait à la danse tant la valse des négociations entre les autorités égyptiennes, l’ambassadeur de France et nous n’en finissait pas ! Finalement, (quelle heure était-il, 23h ? minuit ? au-delà ?) vu que nous n’acceptions pas de nous diviser (car il a été proposé à certains, imaginés plus faibles, d’aller se réfugier sous bonne garde dans l’enceinte du lycée français du Caire), de rendre la rue à la circulation ordinaire, en un mot, de lâcher prise, tant que nous n’aurions pas les véhicules dont avions payé la location pour moitié afin de partir pour Gaza, nous ne céderions pas ! En dernier lieu, l’ambassadeur est venu nous dire qu’il ne pourrait pas nous garantir de protection si nous continuions à occuper la voie publique et que les autorités égyptiennes ne toléreraient pas davantage ce qu’elles percevaient comme un affront à sa souveraineté ! Est-ce utile de rappeler qu’en amont du voyage, tant le gouvernement égyptien que l’ambassadeur de France qui parraina notre Marche, furent au courant et donnèrent leur consentement à l’aventure ? La seule incertitude résidait dans la possibilité ou non d’entrer à Gaza.

Je me suis permis de dire à l’ambassadeur qu’au travers de toutes ses propositions, si la seule chose qu’il nous offrait était la soumission et la démobilisation, il était vain de l’espérer ! Je lui ai rappelé, appris plutôt, humblement, la raison de ma venue ici pour participer à cette Marche en lui signifiant qu’elle s’inscrivait dans un devoir citoyen de solidarité envers un peuple massacré au quotidien et dont les droits les plus fondamentaux étaient bafoués depuis trop longtemps sans que nos gouvernements s’en émeuvent outre mesure. Je lui ai dit, dans le prolongement de cela, que ma présence ici, dût-elle passer par un petit affront à la souveraineté égyptienne, s’imposait par mon attachement aux droits de l’homme et aux principes républicains qui fondent notre nation depuis 1789 ! C’est alors qu’il me lança que le premier devoir de la République était d’assurer la sûreté ! On croit rêver, monsieur Nonlapagaille ! Félicitations, monsieur Félix ! Vous parlez là de votre premier devoir seul, et non de celui de la République, qui est d’assurer la liberté ! Eh bien, sachez que nous, nous sommes là en solidarité avec un peuple opprimé, n’en déplaise à tous ceux que cette infamie arrange, bonjour chez vous !

Bon, je reconnais, non sans quelque fierté, que je ferais un piètre diplomate ! Sur ce, monsieur de Que-Nenni-la-Pagaille enjambe son trottoir et s’enferme en France nous laissant face à l’ultimatum du maître de la Sûreté égyptienne ! Nous comprenons bien vite qu’il nous faut accepter la proposition qui nous est faite de nous rapatrier sur le trottoir de l’ambassade, car les canons à eau et la flicaille étaient sur le pied de guerre ! Nous avons fini par céder à cet ultimatum de bonne grâce d’autant plus que, finalement, le coup de force eut lieu avec tous les média espérés pour témoins, comme nous l’ont prouvé les dépêches, articles et reportages TV de toutes sortes le lendemain !

A peine sur le trottoir, les cordons de soldats anti-émeutes ont délimité ce qui allait devenir -mais nous ne le savions pas encore- notre camp retranché d’où allaient s’élaborer toutes nos actions de résistance durant la semaine et faire du collectif français un motif de fierté pour tous les autres internationaux moins chanceux et bloqués dans des hôtels ou autres !

Je me rappelle avoir demandé l’heure quand je m’apprêtais à déplier mon sac de couchage ; fichtre, 4 heures du matin ! C’est une belle heure pour une aurore ! Je fanfaronne après coup, mais nous ne savions pas si nous allions être évacués manu militari plus tard dans la nuit ou dans la matinée ! Au réveil, j’ai entendu : Rassemblez vos affaires, ils vont nous déloger ! Puis finalement non, rien ; nos représentants, nos leaders, nos chefs, je ne sais même pas comment il convient de les nommer, nos amis en tout cas, sont en pourparlers avec l’ambassadeur. Il en sortira que nous continuons d’exiger nos bus, que si nous restons bien tranquilles nous avons l’assurance qu’aucune violence ne nous sera faite, que la France, dans sa mansuétude, nous accorde un chiotte pour 300 personnes et obtiendra des autorités égyptiennes quelques passages filtrés et mesurés au check point ! Ils ont bien encore tenté de nous refourguer l’idée du lycée français en arguant du confort et de la sécurité payés au prix de la liberté de mouvement ! Allez vous faire foutre ! On mettra deux heures pour aller pisser, on dormira dans la poussière et la crasse, on ne se lavera pas et on respirera les gaz infâmes des échappements, mais ON NOUS VERRA ET ON NOUS ENTENDRA GUEULER !

Une rumeur dans le camp circule le lundi et le mardi aussi je crois, selon laquelle on ne pourrait pas aller plus loin, on ne pourrait pas faire plus fort que ce que nous avions fait la première nuit, que nous avions eu le maximum de média et que par conséquent on ne ferait pas mieux et qu’ainsi il serait opportun de plier bagage, de rentrer et de faire du shopping en attendant l’avion ou de se disperser en petits comités, louer des minibus et tenter Rafah. J’y crois pas !

Allez camarade, j’épargne ton nom à l’histoire, mais regarde je te prie de l’autre côté de la barrière les sourires naissants, les clins d’yeux et les points fermés toujours discrets qui tambourinent les cœurs de nos geôliers de plus en plus fraternels ! Je te souhaite les mêmes gardes chiourmes à ta prochaine garde à vue en France !

En vérité je te le dis (mort de rire), les pouces en l’air bien cachés du supérieur, les you are french ? I love France ! ça fout des larmes plein les yeux ! Car c’est pas pour les cigarettes, l’eau ou les biscuits que je lui donne qu’il dit ça, mais bien parce qu’il comprend de mieux en mieux le sens de notre venue ici, parce qu’on lui traduit en arabe nos slogans, parce qu’on lui parle de son frère de Gaza et qu’il réalise que son gouvernement cire la botte israélienne qui l’écrase, parce que nos chants, nos cris le transportent, parce qu’il se rend compte également que de plus en plus d’Egyptiens passent derrière lui en voiture pour klaxonner de façon codée, pour nous exprimer également leur soutien et leur fierté de nous savoir là. Oui, pour tout ça, il faut demeurer ici. Et aussi parce que tel ou tel chauffeur de taxi ne se fera pas payer sa course quand il apprendra que tu es du nombre de ceux qui tiennent tête aux autorités pour dire la souffrance et la dignité des Palestiniens et que tu ne lâcheras pas l’affaire comme on dit !

Alors, qu’importe que la presse de Moubarak nous traite de terro-touristes, car terro moi, sans faute de goût ni d’orthographe, je l’écris terreau, car on sème là quelque chose qui se moissonnera tôt ou tard, et qui prendra le temps de lever dans la tête des gens que nous aurons croisés ou qui auront entendu parler de nous, bien après que nous soyons partis. Même partis, tu verras, nous aurons l’allure d’être restés ! J’en suis sûr !

Alors, montons sur la pyramide de Mykérinos et donnons-lui une âme en la parant du drapeau palestinien. Puis dans la foulée, allons au musée du Caire, midan El-Tahir, place de la Libération, la bien nommée ! Usons nos culottes sur le bitume, bloquons la circulation en attendant la flicaille, le temps de voir derrière les vitres d’un bus ces deux femmes voilées, ces deux mères prenant le temps de découvrir ce qui se passe sur la voie, nous entendant crier nos slogans, lisant nos pancartes écrites en arabe, oui, prenons, nous aussi, le temps de voir leurs yeux s’écarquiller de plus en plus pour accueillir bientôt un flot de larmes que de ma vie je n’oublierai, et admirons-les nous lancer des bravos et des baisers que leurs doigts ont rassemblés en bouquets sur leurs lèvres avant de nous les jeter mouillés de pleurs ! J’aurais moi aussi traversé la mer Rouge à pied pour voir ça ! Et soudain, je me recevais un coup de poing dans la gueule, mais même pas mal mon connard ! Car je voyais encore ces deux femmes pleurant de joie et de fierté recouvrée !

Alors, certes, nous ne sommes pas allés à Gaza, notre joie de marcher à la face du monde aux côtés de nos frères meurtris de Palestine fut ajournée, mais nous n’avons ni démérité ni mené une action de second rang ! Car je pense, comme beaucoup d’entre nous, que ce que nous avons fait et vécu au Caire est peut-être plus fort que ce que nous aurions pu réaliser à Gaza ! Le monde arabe dans son entier a été informé de notre présence et de nos actions par l’ensemble des média qui se sont relayés ; nous avons semé des actes et des paroles qui feront leur chemin et surtout nous récidiverons tant que nécessaire et nous ne pourrons pas ne pas être plus nombreux chaque fois !

Pour finir, si je rentre avec plein de prénoms et de visages fraternels que j’ai envie de retrouver bientôt : Jeanne, Frédérique, gardienne de bagages (on s’est gondolé comme c’est pas permis), Jean-Marie et Marie-Christine, Odile, Paula, Mohamed, Mustafa, Hassan, Nabil, Mus, Nadia, Charlotte et franchement encore beaucoup à qui je demande de ne pas m’en vouloir de ne les citer ici. Et je tiens à remercier du fond du cœur mes proches amis : Gérard et Michèle qui, ne pouvant participer à cette aventure, m’ont proposé d’y aller et de les représenter et en ont assumé le coût. Pour finir, je salue cette sacrée bonne femme d’Olivia Zemor, franchement avec toi ni on perd son temps ni on s’emmerde et ça vaut le détour. Respect Madame !

Jean-Philippe


publié le samedi 9 janvier 2010

Article imprimé à partir du site de
l’Association CAPJPO-EuroPalestine; : http://www.europalestine.com