S’il y a une chose dont les politiciens ne se lassent pas, c’est des
élections. Pendant que Ségolène se met en jambes pour les
présidentielles par une irruption tellement tonitruante que des membres
de son parti parlent de « psychiatrie lourde », les sarkozystes
modifient les règles du jeu pour être sûrs d’emporter les régionales et
les affairistes font leur nid dans toutes les listes … tout cela au nom
de la démocratie un sujet sur lequel ils entendent bien nous faire la
leçon. Voyons donc ce qu’il en est.
Le terme « démocratie » nous vient de la Grèce antique. Lorsque la
démocratie y naît, “l’idée de représentation est totalement absente de
la philosophie et de la pratique de la Grèce ancienne (…) le principe de
l’élection étaient considéré comme aristocratique”. Et oui, selon le
constat des « inventeurs » de la démocratie, l’élection est exactement
opposée à la démocratie. L’élection est par essence aristocratique
puisqu’il s’agit non de désigner quelqu’un d’égal à un autre mais de
choisir quelqu’un supposé meilleur, supérieur aux autres. C’est pourquoi
les magistrats de la cité antique ne sont pas élus, mais – pratique
démocratique oblige – tirés au sort. Quelques-uns seulement, pour des
fonctions exigeant une compétence toute particulière sont élus ; mais
ils ne sont jamais considérés comme des représentants des citoyens et
leurs charges sont soumises à rotation régulière. D’ailleurs tout
magistrat “ peut à n’importe quel moment dans l’exercice de ses
fonctions, être mis en cause, pour des raisons de fonds et de forme, et
révoqué”. Le mouvement ouvrier fera de même avec ses déléguésdurant la
Commune, dans les soviets, dans les Collectivités, les organisations
anarchosyndicalistes …
Mais la démocratie, ce n’est pas que cela : refusant les représentants
qui légifèrent et gouvernent en leur nom. Les citoyens votent eux-mêmes
les lois dans l’assemblée du peuple (Ekklésia), où tous ont un droit
égal à la parole (Iségoria) et à la proposition de telle ou telle
décision. Les citoyens y ont l’obligation « “de dire franchement ce
[qu’ils pensent] … à propos des affaires publiques”.
Les inventeurs de la démocratie ont également beaucoup réfléchi (et
trouvé des solutions) à la relation peuple/experts. Si les athéniens
reconnaissaient l’expertise, c’était toujours par rapport à une activité
spécifique comme la construction d’un temple, d’un bateau …“Mais celui
qui disait : « Moi, je suis un technicien dans les affaires du
gouvernement » ne récoltait que des rires ». D’autre part, pour les
grecs démocrates, « aucun expert ne saurait se juger lui-même, et le
juge de l’expert n’est jamais un autre expert mais l’utilisateur. Le
juge de ce qu’est une bonne armure, ce n’est pas l’armurier, mais
l’hoplite qui va s’en servir (…)”
“Il n’est que trop facile d’opposer cette vue concernant l’expertise à
celle qui prévaut chez les modernes. L’idée dominante, aujourd’hui,
c’est que les experts doivent être jugés par d’autres experts (…)Cette
idée va de pair avec une autre (…) qu’il existe des experts politiques.
Ce n’est pas le nom qu’on leur donnera, mais nos prétendus politiciens
se présentent et sont élus en tant que spécialistes de l’universel,
techniciens de la totalité, ou peu s’en faut. Il va de soit que c’estla
dérision même de l’idée de démocratie (…) : on justifiera le pouvoir des
politiciens par l’expertise politique qu’ils seraient les seuls à
posséder, et on appellera ensuite la population – qui par définition est
non experte – à choisir entre ces expert” !
Dernière réflexion utile que nous puisons toujours chez les inventeurs
de la démocratie, celle qui concerne le couple population/Etat. “… le
terme Etat n’existe pas en grec ancien … il n’y a pas d’appareil
d’Etat séparé de la communauté poplitique et qui la domine”.
Ces trois points fondamentaux, sur lesquels la contradiction est totale
entre les pratiques des Etats d’aujourd’hui et celles des inventeurs de
la démocratie, permettent d’affirmer que ce qu’on nous vend aujourd’hui
comme étant de la « démocratie » représentative est à la véritable
démocratie ce que Mac Donald’s est à la gastronomie.
Loin d’être une démocratie, notre société est une oligarchie élective et
plus ou moins libérale : dans les faits, dans la réalité, dans le
quotidien, les élus qui disposent du pouvoir ne sont même pas « les
meilleurs », ils sont surtout les rejetons de familles installées qui se
croisent et s’entrecroisent, vivent entre elles et constituent ainsi une
oligarchie opaque.
Cette pseudo élite qui pullule dans la haute bureaucratie du
gouvernement, des partis, des syndicats, des grosses entreprises (on ne
compte pas ceux qui passent avec aisance de l’une à l’autre) constituent
une véritable aristocratie. C’est parmi elle, et elle seulement (à de
rarissimes exceptions près) que le pouvoir choisit ses leaders, par ce
que Cornelius Castoriadis appelle “les règles du jeu de l’appareil
bureaucratique de l’appareil partisan”. Reste au commun des mortels un
vagues veto électoral “plus fictif que réel pour la simple raison quele
jeu est truqué (…) parce que les choix offerts sont toujours prédéterminés”.
Hector
Les réflexions ainsi que les citations sont puisées dans l’oeuvre de
Cornelius Castoriadis, en particulier son Séminaire à l’EHESS “Ce qui
fait la Grèce 2 : Cité et lois” et “Les enjeux actuels de la
démocratie”. Il ne s’agit pas de prendre l’Athènes du Vème siècle comme
modèle démocratique absolu. Cela n’aurait aucun sens, d’autant plus
qu’étaient exclus de la communauté politique les femmes (comme en France
jusqu’en 1945), les métèques (comme c’est le cas encore chez nous) et
les esclaves ; et que l’inégalité sociale entre les citoyens était
profonde. Cependant, même avec ces tares, la civilisation athénienne a
inventé la démocratie, l’a longuement pratiquée et réfléchie. Il est
donc logique de s’y référer quand c’est de démocratie qu’on cause.
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Tiré de Anarchosyndicalisme ! numéro 115
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