Depuis l’été, deux départements, la Mayenne et le Bas-Rhin, ont annoncé qu’ils n’accueilleraient plus d’enfants étrangers isolés. Les conseils généraux ont pourtant en charge la protection des enfants en danger sur leur territoire. Ces mineurs étant en danger, les départements ont obligation de les protéger. Sur la base de ce syllogisme simple, on pouvait espérer que les départements imposent, ou du moins tentent d’imposer à l’État, leur mission de protection avant toute autre considération de politique migratoire : les conseils généraux grands protecteurs des enfants étrangers isolés face à l’État tout occupé à la répression de l’immigration irrégulière, droits de l’enfant contre politique de fermeture des frontières, accueil inconditionnel contre repli national. La bataille promettait d’être belle et rude. Hélas, trois fois hélas car elle tourna vite court.
Dès l’arrivée, au milieu des années 1990, des premières dizaines de mineurs isolés marocains et algériens à Marseille, le département des Bouches-du-Rhône s’empressait de se déclarer incompétent, face à des enfants étrangers, sans parents sur le territoire. Il a fallu qu’un juge des enfants et une responsable de la protection judiciaire de la jeunesse créent une association, la bien nommée Jeunes Errants, pour mettre à l’abri ces jeunes… et préparer leur retour vers leur pays d’origine !
En 1996, ce fut le tour du conseil général de Seine-Saint-Denis de se plaindre que la police aux frontières ne faisait pas son travail et laissait sortir trop de mineurs isolés de la zone d’attente de Roissy. Les administrés n’avaient pas à payer pour un État incapable de garder ses frontières. Quinze ans plus tard, ce conseil général, par la voix de son président Claude Bartolone, ira jusqu’à suspendre, en totale violation de la loi, l’accueil de tout nouveau mineur isolé dans le département. Jean Arthuis et Guy-Dominique Kennel, respectivement présidents des conseils généraux de Mayenne et du Bas-Rhin, ne sont ainsi, aujourd’hui, que de pâles imitateurs. Le premier, par arrêté, a mis fin cet été « à tout nouvel accueil de jeunes étrangers isolés par le service de l’aide sociale à l’enfance » dans son département. Il s’agit, selon lui « d’alerter ce gouvernement qui se soucie plus de l’accueil de ces supposés mineurs, dont la minorité n’est pas toujours avérée, plutôt que de démanteler les filières organisées et de contrôler les flux migratoires. » Le 13 septembre dernier, le second a signé un arrêté décidant « la suspension à titre provisoire » de l’accueil de nouveaux mineurs étrangers.
Accusés de coûter trop cher, les mineurs isolés étrangers sont maintenant accablés de tous les maux. En Eure-et-Loir, les services sociaux du département « soupçonnent certains d’entre eux d’être plus âgés et de représenter une source de perturbations pour les autres enfants », rapporte l’Écho républicain (7 juillet 2012). Pour Éric Ciotti, à la tête du département des Alpes-Maritimes, il s’agit carrément de mineurs délinquants dont la place n’est « pas dans un foyer pour enfants protégés mais dans un centre éducatif fermé » (AFP, mars 2013).
Dans les Hauts-de-Seine, les cadres de l’aide sociale à l’enfance ont été chargés d’intercepter et d’éconduire ces mêmes mineurs avant que leurs équipes éducatives entament un travail de protection. La CGT-CG 92, dénonçait ainsi, en avril 2013, dans une lettre au président du conseil général le fait que « certains enfants, jeunes, lorsqu’ils sont reçus, le sont uniquement par le Chef de service ASE et “refoulés” sans aucun contact avec les travailleurs sociaux et sans évaluation éducative. Le plus souvent, dans ces cas-là, aucune trace écrite de leur passage n’est conservée ». On pourrait multiplier les exemples de mauvais traitements.
Dans ce contexte, on assiste bien à une confrontation État/départements mais quasiment à front renversé. Dans une circulaire du 31 mai 2013, la garde des Sceaux rappelle aux départements leur obligation de protection. Dommage qu’elle valide par la même occasion les procédures dérogatoires et éliminatoires que certains départements et parquets ont mises en place conjointement ces dernières années pour opérer un premier tri. Rien de très étonnant lorsque l’on sait que cette circulaire ne constitue qu’une mise en musique d’un protocole national signé entre l’État et l’Association des départements de France (ADF) dont le président, Claudie Lebreton, est un farouche partisan du traitement migratoire de la question des mineurs isolés étrangers. Début 2013, il déclarait : « Le gouvernement maintient que les MIE relèvent de la protection de l’enfance – et que c’est donc à nous, départements, de financer leur prise en charge – tandis que nous estimons que c’est un problème d’immigration. »
La nouveauté de ce dispositif est qu’il tente d’organiser une répartition des mineurs isolés étrangers sur l’ensemble des départements ; le ministère a évalué le nombre de nouvelles arrivées de mineurs à 1 500 par an, à répartir sur tous les départements selon des quotas fixés dans la circulaire. Peine perdue puisque plusieurs départements, à l’instar de la Mayenne et du Bas-Rhin, ont déjà annoncé qu’ils refuseraient d’y participer. Et alors que, fin août, seuls 425 mineurs avaient été réorientés, on ne comptait plus qu’environ 40 départements susceptibles de les accueillir, les autres ayant atteint leur quota. Sans compter les récalcitrants. Le conseil général de l’Aveyron vient même de déposer un recours en Conseil d’État contre la circulaire de la garde des Sceaux. Selon son président, Jean-Claude Luche, il est hors de question d’accueillir des mineurs en provenance de la région parisienne qui coûtent, précise-t-il, 160 euros par jour à la collectivité et qui, « de plus, parlent peu le français, insultent le personnel du château de Floirac, commettent de nombreuses dégradations… ». Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage !
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