La visite de 24 h en Israël, cette semaine, de la chancelière allemande Angela Melkel intervient au moment où les relations entre les deux pays sont au plus bas. Selon un article paru dans le magazineDer Spiegel la semaine dernière, Merkel et le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu ont eu des mots très durs lors de leur discussion par téléphone à propos du processus de paix chancelant.
En dépit de leurs sourires devant les caméras au cours de la visite, la tension derrière les décors avait monté jusqu’à une engueulade diplomatique en début de ce mois quand Martin Schulz, président du Parlement européen, et lui-même allemand, a prononcé un discours devant le Parlement israélien.
Dans un chahut sans précédent, un groupe de députés israéliens a grossièrement interrompu Schulz, le traitant de « menteur », puis ce groupe, conduit par le ministre de l’Économie Naftali Bennet, a mis en scène sa sortie de l’hémicycle. Au lieu de présenter ses excuses, Netanyahu est intervenu pour vilipender le dirigeant européen pour avoir été mal informé.
Schulz qui comme Merkel est considéré comme un proche ami d’Israël, a profité de son discours pour s’opposer avec véhémence aux appels qui se multiplient en Europe pour un boycott d’Israël. Mais alors, comment a-t-il pu soulever une telle réprobation contre lui ?
Le principal délit de Schulz est dans sa question : est-il vrai, comme il l’a entendu lors de ses rencontres en Cisjordanie, que les Israéliens ont accès à quatre fois plus d’eau que les Palestiniens ? Et il a encore plus contrarié les députés en sous-entendant, avec ménagement, que le blocus israélien de la bande de Gaza gênait son développement économique.
Aucune déclaration ne pourrait être moins controversée que celle-ci. Les chiffres d’organismes indépendants, comme la Banque mondiale, démontrent qu’Israël, qui contrôle la fourniture de l’eau dans la région, alloue par habitant environ 4,4 fois plus d’eau à sa propre population qu’aux Palestiniens.
De même, il serait difficile d’imaginer que toutes ces années pendant lesquelles il a refusé à Gaza nourriture et matériels, où il a bloqué les exportations, n’aient pas ravagé son économie. Le taux de chômage, par exemple, est augmenté de 6 %, montant à 38,5 %, après la décision récente d’Israël d’empêcher tout transfert de matériaux de constructions pour le secteur privé de Gaza.
Mais il est rare que les Israéliens entendent de tels propos, que ce soit de leurs politiciens ou de leurs médias. Et ils sont peu nombreux à être prêts à entendre quand une voix, rare, intervient, comme celle de Schulz dans son discours. Les Israéliens se satisfont de vivre dans une grosse bulle de négations de la réalité.
Netanyahu et ses ministres font tout ce qu’ils peuvent pour renforcer cette bulle, tout comme ils essaient de protéger les Israéliens du fait qu’ils vivent au Moyen-Orient, et non en Europe, en construisant des murs de tous côtés – tant physique que bureaucratique – pour exclure les Palestiniens, les voisins arabes, les travailleurs étrangers et les demandeurs d’asile.
En Israël, le gouvernement cherche à faire taire les rares voix critiques de la gauche. L’intimidation a été nettement visible cette semaine, quand la Cour suprême a eu à juger de la constitutionnalité de la récente « loi relative au boycott », laquelle loi menace de mettre en faillite quiconque appelle au boycott d’Israël comme des colonies.
Fait révélateur, un avocat du gouvernement a défendu la loi en plaidant qu’Israël ne pouvait se permettre la même liberté d’expression que celle dont profitent des pays comme les États-Unis.
Illustrant ce point, un tumulte a accueilli l’information le mois dernier qu’un professeur d’éducation civique a répondu par la négative quand des élèves lui ont demandé s’il pensait que l’armée d’Israël était la plus morale du monde. Une campagne pour le faire mettre à la porte a été conduite par des ministres du gouvernement et par son proviseur, et qui déclarait : « Il y a des vaches sacrées que je ne laisserai pas être abattues ».
De même, la semaine dernière, il est apparu qu’un Palestinien de Jérusalem-Est avait été interrogé par la police pour incitation, après qu’il eut diffusé sur Facebook que sa ville était « sous occupation ».
À l’extérieur d’Israël, Netanyahu se livre à des tactiques plus communes pour intimider les critiques. Voulant tirer parti de la sensibilité européenne, il a accusé ceux qui soutiennent un boycott d’être « des antisémites classiques en costume moderne ». Netanyahu a justifié son allégation, comme il l’a déjà fait, en soutenant que c’est Israël qui est pris pour cible.
Il semble que ce soit la seule voie pour les Israéliens, car ils se sont singulièrement isolés de la réalité.
Les critiques en Occident se concentrent sur Israël parce que, contrairement à des pays comme la Corée du Nord ou l’Iran, il a réussi à éviter toute pénalité alors qu’il foule aux pieds les normes internationales depuis des décennies.
L’Iran, soupçonné seulement de développer en secret des armes nucléaires, subit depuis des années des sanctions extrêmement lourdes. Israël, qui soustrait son important stock d’ogives nucléaires de la surveillance internationale depuis la fin des années soixante, profite d’une couverture diplomatique sans fin.
Contrairement à ce que prétend Netanyahu, de nombreux pays dans le monde ont été visés pour des sanctions par les États-Unis et l’Europe – que ce soit sur le plan diplomatique, financier, ou, comme dans le cas de l’Iraq, de la Lybie et de la Syrie, sur le plan militaire.
Mais l’antipathie envers Israël prend ses racines bien plus profondément encore. Israël n’a pas seulement échappé à ses responsabilités, il a reçu de généreuses récompenses tant des États-Unis que de l’Europe pour son mépris des conventions internationales dans son traitement des Palestiniens.
Ceux qui se sont autoproclamés les gendarmes du monde ont encouragé Israël dans ses infractions en ignorant systématiquement ses transgressions et en prolongeant leurs subventions massives et leurs accords commerciaux préférentiels. Dans le cas de l’Allemagne, l’un des plus profits les plus significatifs fut la décision de fournir à Israël une flotte de sous-marins Dolphin, laquelle permet à Israël de transporter son arsenal nucléaire clandestin dans toutes les mers.
Loin de porter un jugement injuste sur Israël, Schulz, Merkel et la plupart des dirigeants occidentaux se livrent régulièrement à des plaidoiries toutes particulières pour le défendre. Ils connaissent l’effroyable occupation par Israël, mais ils répugnent à exercer leur pouvoir pour aider à ce qu’il y mette fin.
Si la critique populaire d’Israël est actuellement galvanisée autour du mouvement de boycott – ce que Netanyahu appelle pompeusement « délégitimation » – c’est parce que ce mouvement propose un moyen pour les Américains et Européens ordinaires de prendre leur distance avec la complicité de leur propre gouvernement dans les crimes d’Israël.
Si Netanyahu a refusé d’entendre ses critiques à l’extérieur, les gouvernements occidentaux n’ont pas été moins fautifs en étant de plus en plus indifférents à la vague de sentiments nationaux qui s’attendent à ce qu’Israël soit contraint de se plier au droit international.
Tant les subtilités diplomatiques de Merkel que ses prises de bec ont prouvé leur totale inefficacité. Il est temps, pour elle et pour ses homologues occidentaux, d’arrêter de discuter et de prendre des mesures contre Israël.
Jonathan Cook a remporté le prix spécial de journalisme Martha Gellhorn. Ses livres les plus récents : « Israël et le clash des civilisations : Iraq, Iran et le Projet pour un nouveau Moyen-Orient » (Pluto Press) et « La disparition de la Palestine : les expériences d’Israël dans le désespoir humain » (Zed Books). Son site : http://www.jonathan-cook.net/
Une version de cet article a initialement été publiée dans The National, d’Abu Dhabi.
Counterpounch : http://www.counterpunch.org/2014/02/26/israels-bubble-of-denial/
Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine
Aucun commentaire jusqu'à présent.