Un bouquin putride préfacé par Onfray qui deverse haine et racisme sur les musulmans mais soutenu par des organisations anarchistes importantes (FA et CNT) montre encore une fois que l’islamophobie est bien présente à l’extrême gauche et chez les “libertaires” qui voudraient nous faire croire le contraire. Cet article ne peut s’empecher de louer “les critiques justes” du bouquin malgrè des critiques timides qui ne servent qu’à cautionner le reste.
« L’impasse islamique » de Hamid Zanaz nous conduit dans une (autre) impasse :
28 février 2010

l’impossibilité d’une lutte commune avec les exploités croyants

 

« Une fille ne possède que son voile et sa tombe » (proverbe saoudien)

Publié par les Editions libertaires, et soutenu par un collectif composé d’organisations comme la Fédération anarchiste (FA) et la Confédération nationale du travail (CNT, qui se réclame à la fois du syndicalisme révolutionnaire et de l’anarchosyndicalisme) et de plusieurs éditeurs de textes « radicaux », « L’impasse islamique », sous-titré « La religion contre la vie (1) » et préfacé par Michel Onfray a suscité une virulente discussion dans le microcosme anarchiste. Malgré ses nombreux défauts, ce livre pose des questions utiles, qu’il faut aborder sans détours.

Une préface calamiteuse

 

Le premier problème posé par cet ouvrage est sa préface. Autant Hamid Zanaz tient des propos contrastés, voire contradictoires entre eux (2), autant Michel Onfray manie un bazooka idéologique et simplificateur dans son introduction : en quelques lignes, il se livre de façon acritique à l’apologie des « valeurs de l’Occident », et sépare, par un Océan infranchissable, les terres « occidentales » des terres « non occidentales » condamnées à vivre en « communautés » et en « tribus ».

Drôles de « libertaires »

On ne distingue pas bien ce qu’une telle position a de « libertaire », du moins si cet adjectif désigne une personne qui tenterait de se dégager des poncifs de la propagande politique officielle et du bourrage de crânes médiatique et produirait une pensée autonome de celle des classes dominantes – « occidentales » ou pas. Pas plus qu’on ne perçoit ce qu’ont de « libertaires » les allusions positives de Hamid Zanaz aux « avancées radicales » permises par Bourguiba, Bismarck, Kemal Ataturk ou Napoléon. S’il est publié par une maison d’édition libertaire, il est évident que cet auteur ne s’intéresse qu’à deux aspects des libertés démocratiques (la liberté de conscience, à peu près garantie, en effet, par la séparation des Eglises et de l’Etat telle qu’elle existe en France – en dehors de l’Alsace ; et les droits des femmes) et qu’il ne s’intéresse absolument pas aux autres libertés démocratiques (presse, organisation, droits des travailleurs, etc.). Sinon on ne voit pas bien ce que viendrait faire dans son Panthéon laïque Bourguiba, grand tortionnaire et dictateur devant… l’Eternel. Ou Napoléon et Bismarck, qui ont persécuté les républicains pour le premier (Bonaparte ayant de surcroît rétabli l’esclavage avant de devenir empereur), les syndicalistes et les socialistes pour le second.

Un auteur prisonnier de contradictions insolubles

Hamid Zanaz est prisonnier de contradictions insolubles dont il n’arrive pas à se dégager tout au long de son ouvrage. En effet, il oscille entre deux attitudes :

* d’un côté, il pense que toutes les religions sont néfastes pour les individus et pour la vie sociale et démocratique, position juste, mais qui aurait gagné à être étayée par des exemples actuels concernant d’autres religions que l’islam ;

* de l’autre, il juge que l’islam et l’islamisme ne font qu’un, ou plutôt que le second serait la vérité, la « solution finale » (sic) du premier.

La première attitude est celle adoptée par tous les athées et tous les matérialistes, celle de la plupart des courants anarchistes et marxistes depuis un siècle et demi. Rien de très nouveau, donc. D’ailleurs, ce qui frappe dans ce pamphlet, c’est à quel point l’auteur néglige l’importance du bricolage religieux pratiqué par la plupart des fidèles, qu’ils soient musulmans ou pas, en ce XXIe siècle. Ce bricolage est en effet, par son étendue et sa diversité, une caractéristique nouvelle ; il doit nous inciter à renouveler notre critique des religions plutôt qu’à répéter ce que disaient les libres penseurs, les anarchistes ou les marxistes au XIXe siècle contre l’Eglise catholique ou les Eglises protestantes et à l’appliquer mécaniquement aux formes actuelles prises par les religions. (Pour ce faire on se reportera au livre d’Olivier Roy, « La sainte ignorance : Le temps de la religion sans culture » édité au Seuil en 2008, qui donne des informations et des pistes utiles.)

On notera aussi que l’auteur s’en prend surtout à l’islam des « élites », et pas à l’islam populaire, le seul qui nous intéresse véritablement, en tant que militants. Il ne nous explique pas comment combattre, dans les classes populaires, la religion musulmane et se contente de ridiculiser, avec talent souvent, les tentatives de réformer l’islam par en haut ou de le présenter comme une « philosophie » comme les autres.

Des critiques qui touchent juste…

Néanmoins, celui qui lit attentivement ce pamphlet constatera que les critiques adressées par l’auteur aux « musulmans » peuvent aussi être appliquées aux juifs, aux protestants, aux catholiques ou aux bouddhistes actuels. S’il accumule les petites anecdotes personnelles, ou celles extraites de l’hebdomadaire Courrier international, démarche qui manque singulièrement de rigueur et de profondeur historique pour un sujet aussi grave, l’auteur a un certain sens de la formule, et ses expressions humoristiques touchent souvent juste : « La religion est l’ancêtre de la pub, toutes les deux créent l’insatisfaction et la frustration » ; « La foi, c’est comme la confiture, moins on en a, plus on l’étale » ; et même « L’intégrisme est à l’islam, ce que le chômage est au capitalisme ». Ces phrases nous font sourire, ce qui est le but d’un bon pamphlet.

L’auteur nous rappelle également quelques réflexions classiques sur la religion : « Je crois toujours, après Schopenhauer, que les religions sont comme les vers luisants : pour briller il leur faut de l’obscurité » ou « « Aucun homme public ne croit que la Bible veut dire ce qu’elle veut dire, dit Bernard Shaw, mais il est toujours convaincu qu’elle dit ce que lui veut dire. »

Il critique le relativisme culturel, tellement prisé dans les cercles de gauche et d’extrême gauche, chez les intellos comme chez les militants : « Ceux qui répètent que toutes les valeurs sont bonnes et que toutes les cultures se valent, contribuent à leur insu à la promotion de la barbarie. Il y a des valeurs acceptables, quel que soient le lieu, le temps, les circonstances. Il y a, à l’inverse, des coutumes qui sont des crimes quel que soient le lieu, le temps et les circonstances. » Il dénonce justement « les promoteurs de la laïcité “positive“ qui se cachent derrière “l’islamophobie” pour préparer le terrain au retour du christianisme agonisant dans la sphère publique » (On en a un excellent exemple avec l’offensive menée par Régis Debray et quelques autres pour l’enseignement du « fait religieux » à l’Ecole, combat qu’il mène depuis qu’il a redécouvert Dieu…)

Nous ne pouvons qu’être d’accord quand Hamid Zanaz écrit : « Toutes les religions, l’islam en premier, sont intrinsèquement hostiles à ces droits fondamentaux de l’homme » ; « L’intégrisme est inscrit dans la nature de toute religion » ; « Il est difficile, voire impossible, d’approcher sérieusement le fondamentalisme islamique si on le coupe de son origine psychologique globale, c’est-à-dire des grands délires monothéistes » ; « Le Coran a servi à ceux qui voulaient “religionniser” la politique et à ceux qui ont voulu politiser la religion » ; « Toute religion est au départ une technique sociale » ; « La religion prétend toujours dire la vérité absolue » ; « L’islam, comme toute religion, est castrateur » ; « La philosophie est recherche de la vérité. Comment [peut]-on parler de philosophie quand la vérité est déjà trouvée ? » ; « Quand la religion avance, la raison recule » ; « La religion » est le « lieu par excellence du patriarcat », etc.

Malheureusement Hamid Zanaz ne se contente pas de nous livrer un pamphlet antireligieux, spécifiquement dirigé contre l’islam, activité utile en ces temps de confusion idéologique, comme l’ont encore démontré récemment les récentes discussions autour du port du hijab (3). Il parsème aussi son livre de réflexions sociologiques, anthropologiques, psychologiques et politiques lapidaires et approximatives.

… Mais aussi des jugements hâtifs et douteux

En voici quelques exemples : « Dans ces sociétés closes, repliées sur leurs traditions, le célibat est très mal vu, point de place pour les vieilles filles ou les vieux garçons. Le célibataire est un demi-homme, dit le Talmud. Il est le frère du diable, selon un hadith. » (L’auteur ne connaît donc pas les sociétés latino-américaines, imprégnées par le catholicisme et désormais aussi par le protestantisme ? Ignore-t-il que les mêmes préjugés existent contre les jeunes filles ou les femmes non mariées ou divorcées ? Que les jeunes ont les mêmes problèmes pour trouver un endroit où faire l’amour que dans les Etats islamiques ?)

Hamid Zanaz écrit : « Pourquoi [les musulmans] peinent-ils à reconnaître la supériorité flagrante de l’Occident “impie” ? » mais de quelle « supériorité » s’agit-il ? de la supériorité militaire ? d’une supériorité morale ou éthique ?

Il proclame : « Les musulmans rejettent consciemment (une minorité) ou inconsciemment (la majorité) les valeurs principales de la modernité : liberté de conscience, égalité entre les sexes, en particulier le refus de séparer le sacré du profane » ; les musulmans se caractérisent par « une hostilité pathologique aux valeurs mentales et symboliques de la modernité » ; « Il est temps de sortir de l’esprit des croisades » (comme si les croisades n’avaient eu qu’un seul protagoniste, comme si les armées américaines n’avaient pas été lancées en Irak et en Afghanistan par un chef d’Etat protestant fondamentaliste dont les billets de banque portent la mention « In God we trust », mention votée par le Congrès en…1956, donc très récemment dans l’histoire de ce pays “laïque”).

L’auteur se demande « Comment se fait-il que l’islam n’a pas pu détribaliser les sociétés arabes ? » comme si le clientélisme mafieux en Sicile, ou en Calabre, et le clientélisme politique dans tous les pays d’Amérique latine ne recoupaient pas eux aussi des phénomènes claniques qui n’ont rien à envier au « tribalisme » arabo-musulman.

Il s’exclame : « Comment peut-on critiquer la modernité avant même de pouvoir fabriquer un clou ? » et là, Zanaz, emporté par la passion, dérape dans le cliché à connotations racistes).

Il affirme également « Le musulman vit dans une culpabilité totale » (et ce n’est pas le cas des chrétiens ?) ou « Le problème des musulmans réside dans leur incapacité morale à reconnaître à chacun la liberté de conscience ».

Zanaz ignore-t-il que le délit de blasphème existe dans de nombreux pays « chrétiens » « occidentaux” : Irlande, Allemagne, Autriche, Danemark, Espagne, Pays-Bas, Grand-Bretagne et Grèce et que 20 procès ont été conduits pour blasphème entre 1984 et 2009 dans la France « laïque », dont 13 initiés par des catholiques ?

Les critiques unilatérales de Zanaz ne peuvent qu’amener le lecteur à penser que tous les habitants des pays dits « musulmans », ou leurs descendants qui vivent en « Occident » seraient musulmans (4) (ce qui est inexact) mais surtout qu’ils seraient congénitalement incapables de se détacher définitivement de la religion musulmane, ou au moins d’accepter une séparation radicale entre leur religion et l’Etat, à la fois dans les sociétés où l’islam est la religion dominante, liée au pouvoir politique, et dans celles où il est minoritaire.

Certes, notre professeur de philosophie cite un certain nombre de penseurs nés dans les Etats islamiques qui ont effectué soit une critique radicale de l’islam, soit ont plaidé pour la laïcité ; mais les quelques noms qu’il mentionne ne lui semblent pas représentatifs de l’histoire de la pensée musulmane et des pays dits « musulmans » puisque, d’après lui, pratiquement tous les intellectuels « musulmans » actuels sont incapables de penser la laïcité, la « modernité » et bien sûr l’athéisme.

Quelques citations suffiront pour illustrer notre critique : « En fin de compte, tout le monde ou presque est, a été ou sera islamiste » proclame-t-il. Il évoque les propos d’une femme saoudienne sur le site arabophone Elaph : « Les mâles arabes sont impraticables. Ils sont narcissiques, castrés. Rien de positif ne pourrait venir de ces marionnettes, esclaves de leurs instincts », sans se demander une seconde s’il ne pourrait pas trouver les mêmes phrases à propos des mâles français, italiens, espagnols ou allemands sur des sites Internet, même pas féministes !

Une hostilité irrationnelle contre l’islam

Même si ce n’est pas l’intention de l’auteur, ce pamphlet ne peut que nourrir une hostilité irrationnelle spécifique contre l’islam (évitons d’employer le terme douteux d’« islamophobie »), c’est-à-dire une critique beaucoup plus violente de l’islam et des musulmans eux-mêmes que des autres religions. L’auteur affirme en effet, en contradiction avec toute l’expérience des cent dernières années : « Dans les autres religions les adeptes cherchent grosso modo l’apaisement plus que la vérité. »

Il suffit d’observer le rôle du bouddhisme dans le militarisme japonais durant toute la première moitié du XXe siècle (militarisme encore présent dans de nombreuses sectes bouddhistes actuelles comme la Sokka Gakaï) ; de l’hindouisme dans le conflit indo-pakistanais depuis plus de cinquante ans ; du fondamentalisme chrétien américain actuel qui attise le conflit israélo-palestinien et se niche dans les bagages de l’armée américaine en Irak comme en Afghanistan ; de l’intégrisme des colons juifs en Israël qui répand la haine anti-arabe et antimusulmane, etc. Tout cela pulvérise ce « grosso modo » employé de façon désinvolte par Hanaz.

« En islam, continue Zanaz, on cherche la vérité et cela contredit la modernité qui est, dans son essence, porteuse de doute et de diversité. Pour être bref, l’islam domine les esprits comme une idéologie de masse, et non pas comme une spiritualité individuelle. » Ce qu’affirme Zanaz s’applique aux autres religions comme aux sectes, et n’est nullement une caractéristique spécifique de l’islam. Il nous présente une version inversée de la réalité historique. Ce ne sont pas les catholiques français qui ont gentiment accepté la laïcité, après un examen de conscience pacifique et un débat contradictoire dépassionné. Ce sont les forces du mouvement ouvrier, en alliance avec la bourgeoisie républicaine, qui ont imposé la forme très particulière de sécularisme qui domine en France et que nous appelons « laïcité ». Dans les autres pays « occidentaux » où le mouvement ouvrier n’a pas pu imposer un tel rapport de forces et où les autorités religieuses n’ont pas réussi à fédérer contre elles autant d’énergies, les Eglises ont beaucoup plus de pouvoir, que ce soit en Angleterre où la reine est la chef de l’Eglise anglicane, en Allemagne où les Eglises vivent de l’impôt public, en Italie où l’Eglise catholique occupe une place centrale, et fait tout ce qu’elle peut pour limiter les droits des femmes… D’ailleurs, le poids de la religion n’a aucunement bloqué le développement économique de l’Allemagne, de l’Italie, ou l’Angleterre, ce qui devrait inciter notre professeur de philosophie à affiner un peu ses explications.

En effet, il situe l’ « origine capitale » des problèmes économiques et politiques des pays arabo-musulmans dans « l’obstacle de la religion ». Hamid Zanaz affirme : « Cette civilisation s’est arrêtée au XIIe siècle (…) Le monde musulman a été colonisé parce qu’il était décadent. Il n’est pas décadent parce qu’il a été colonisé. Même si la colonisation a contribué à le maintenir d’une façon ou d’une autre dans son état misérable. La décadence est la conséquence de l’emprise de la religion sur la société. » Il nous semble que son pamphlet est trop unilatéral dans l’explication des causes du sous-développement de certains Etats islamiques. Une telle explication unique par le fardeau de la religion musulmane est tout aussi partielle que la thèse inverse sur le rôle essentiel de l’esprit protestant dans le développement du capitalisme.

Ce livre est donc particulièrement déséquilibré dans sa critique des religions et politiquement dangereux. Il ne peut que renforcer les préjugés non seulement contre les habitants des pays dits « musulmans » mais aussi contre les travailleurs immigrés originaires de ces pays et qui vivent dans les métropoles impérialistes, et leurs descendants qui ont la nationalité de tel ou tel Etat européen et sont (ou seraient) tentés par la religion de leurs parents ou de leurs grands-parents. Que l’auteur se soit laissé emporter par la passion, qu’il ait voulu choquer pour secouer quelques certitudes séculaires ou rétablir quelques vérités élémentaires, soit. Un bon pamphlet repose sur une écriture au vitriol. Mais il est consternant que les Editions libertaires n’aient pas ajouté une post-face ou une préface qui se serait démarquée des aspects les plus outranciers et contestables des raisonnements de l’auteur, ou qui en aurait souligné les contradictions.

Un éditeur doit lire les livres qu’il publie

Au nom de la liberté d’expression et/ou de la critique de la religion, il était tout à fait normal de souhaiter publier ce livre et de prendre par avance la défense de l’auteur contre d’éventuelles menaces. Mais un tel acte, pour un éditeur (« libertaire » ou pas d’ailleurs), n’est pas séparable d’un minimum de réflexion critique sur le contenu de l’ouvrage qu’il publie. Or cette réflexion est totalement absente de la présentation rédigée par les Editions libertaires.

En effet, la quatrième de couverture montre que ces militants négligent totalement la portée létale de certains mots et de certaines idées véhiculées dans ce livre, et qu’ils ne font (tout comme l’auteur) aucune différence entre une religion, un clergé, un appareil idéologico-religieux, d’un côté, et ses adeptes, de l’autre.

Critiquer la religion oui, c’est bien sûr « un devoir pour tous les esprits libres et pour tous les révolutionnaires » comme le proclame avec emphase la quatrième de couverture. Mais on fera remarquer à ces camarades qu’en France critiquer l’islam n’est pas vraiment une activité risquée… contrairement à ce qu’ils affirment. C’est même l’activité principale d’une grande partie des médias dominants, des intellectuels et des hommes politiques de ce pays. De Houellebecq à Onfray, de Le Pen à de Villiers en passant par Hortefeux, de L’Express, Le Point, Libération à Charlie Hebdo, on ne peut pas dire que la critique de l’islam soit une activité réprimée par la justice ou condamnée par les électeurs, y compris des quartiers ouvriers et populaires, comme en témoignent les 6 millions de gens qui apportent leurs voix aux partis d’extrême droite qui protestent contre la prétendue « islamisation » de la France.

Les libertaires de la FA ou de la CNT devraient savoir que l’antijudaïsme a souvent servi de paravent à l’antisémitisme (aujourd’hui certaines formes d’antisionisme jouent la même fonction), et que des racistes peuvent parfaitement se cacher derrière la critique de l’islam. En Hollande, la droite populiste mène campagne contre les musulmans, en particulier, et les immigrés des Etats islamiques en général, en invoquant les Lumières, la Raison et la défense des droits des femmes et des homosexuels. En Suisse l’extrême droite (les Démocrates suisses !) invoque les vertus de l’écologie et de la démocratie pour mieux lutter contre l’immigration et l’islam. Il faut être politiquement aveugle et sourd, pour ne pas se rendre compte des ambiguités, passées et actuelles, de la critique des religions juive et musulmane, et de la nécessité de fabriquer un argumentaire radicalement différent de celui de la droite et de l’extrême droite sur ce terrain.

La posture des Editions Libertaires tendant à se présenter comme des victimes potentielles d’une théophilie galopante et répressive est donc un peu ridicule. Mais il y a plus grave dans cette présentation et dans ce livre.

Non, tous les musulmans ne sont pas des fascistes

Traiter, comme ils le font dans leur quatrième de couverture, tous les musulmans de « fascistes » est une absurdité suicidaire et criminelle. Mettre sur le même plan la circoncision et l’excision, ou laisser croire que le statut des femmes serait plus « inhumain » dans la religion musulmane que dans les autres religions, affirmer que tous ceux qui essaient de réformer l’islam de l’intérieur sont des adversaires politiques au même titre que les islamistes (5), confondre islam et islam politique, c’est faire le jeu des intégristes religieux et des islamistes politiques. C’est empêcher toute lutte commune contre l’Etat, contre l’exploitation et même contre l’oppression, avec des hommes et des femmes qui croient (de façon fervente ou molle) en Allah.

C’est aussi encourager les militants à ne surtout pas réfléchir à la complexité des questions posées par l’islam à la fois dans la géopolitique mondiale, et dans les communautés de prolétaires qui travaillent dans les pays occidentaux. L’auteur nous explique que lui qui lit l’arabe, suit les discussions sur Internet, etc., en sait mille fois plus que les autres (les islamophiles de toutes tendances), malheureusement au lieu de nous communiquer son savoir, de développer un contre-argumentaire précis, il préfère inciter ses lecteurs à garder leurs préjugés et à ne pas approfondir leurs connaissances.

C’est en ce sens que ce pamphlet, par ailleurs amusant pour tout athée ou matérialiste convaincu, est aussi très décevant et ne pourra que choquer des croyants qui se poseraient des questions sur leur propre religion. Il n’incite pas ses lecteurs à réfléchir à la diversité des courants et des composantes de l’islam- religion, et de l’islam politique. Il met tous les prétendus « musulmans » dans le même sac et ne leur offre aucune autre perspective que de se ranger derrière le Hamas, le Hezbollah, le FIS, Al-Quaida, les talibans, le Parti de la Vertu ou les Frères musulmans, ou alors de devenir des hédonistes politiquement confus à la Onfray et de chanter les louanges de Bourguiba ou de Kemal Ataturk…

Autant il est vital de critiquer la religion d’un point de vue philosophique, de défendre un point de vue rationaliste et matérialiste, de dénoncer ses applications néfastes dans tous les domaines de la vie sociale quand les groupes religieux, les sectes ou les Eglises tentent de limiter les droits démocratiques des individus, y compris les droits de leurs adeptes, autant cette critique est totalement stérile et contre-productive si elle prend tous les croyants pour des cons finis, des frustrés, et repose sur l’idée naïve que tous les athées, les libres penseurs et les agnostiques, seraient des hommes et des femmes intelligents, cultivés et sexuellement « libérés ».

Ce type d’alternative grossière mène à une impasse et ne permet pas de différencier notre critique des religions, en général, et de l’islam en particulier, de celle des réactionnaires.

Y.C.

(Ni patrie ni frontières)

29/02/2010

Un commentaire

On joue sur les mots. La CNT est “anarchiste”. L’anarcho-syndicalisme c’est l’application des principes de l’anarchisme au syndicaliste. C’est même un des courants de l’anarchisme. Que des individus adhérents à la CNT aient des croyances religieuses, cela regarde leur intimité, qu’il faut évidemment respecter.