Plus de trois ans après l’arrivée au pouvoir du socialiste François Hollande à la présidence de la République, la proposition de loi relative au statut, à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage, qui doit permettre d’abolir totalement le statut discriminatoire de 1969 et de faire entrer des dizaines de milliers de citoyens français dans le droit commun, a enfin été inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée pour une première lecture.
La PPL N°1610, déposée le 5 décembre 2013, sera examinée pour la première fois en séance publique le 9 juin.
Le texte, porté notamment par le socialiste Dominique Raimbourg, peinait jusqu’ici à se faire une place dans les priorités politiques alors qu’il correspondait à une promesse de campagne du candidat Hollande, sous la pression de l’Union européenne.
Il répond également à de multiples condamnations de la France par des instances nationales – notamment le Conseil d’Etat – et internationales – en particulier l’Onu – pour la non abolition de la loi de 1969, maintenant les voyageurs dans un statut d’exception, avec notamment des papiers d’identité différents des autres citoyens français et un droit de vote très amoindri.
En réalité, la PPL doit permettre de mettre un terme à plus de cent ans d’exclusion administrative, politique et sociale des voyageurs, la loi de 1969 n’étant qu’un prolongement de celle de 1912, qui avait instauré un véritable fichage des familles « nomades » symbolisé par le carnet anthropométrique, mettant ses détenteurs à la merci de la police/gendarmerie, des mairies et des préfectures.
Ce fichage systématique, dès le plus jeune âge, avait permis l’internement de milliers de « nomades » et de forains par les autorités françaises sur ordre nazi à partir de 1940 mais
jusqu’en…1946, dont bien après l’occupation allemande.
Aujourd’hui, après l’abolition partielle fin 2012 (carnet de circulation) de la loi de 1969 par le conseil constitutionnel, ne subsiste que le « livret », tout aussi discriminatoire en terme de
contrôle policier notamment.
La suppression de ce « livret » honni par de nombreux voyageurs comme une survivance d’un lourd passé de persécutions ayant culminé au cours du génocide tsigane (quelque 500.000 tsiganes exterminés à travers l’Europe) pose cependant de nombreuses questions.
Elles sont soulevées cette semaine par les représentants des associations de voyageurs qui, comme Milo Delage de France Liberté Voyage ou Anthony Dubois de Diférence, doivent être auditionnés d’ici le 27 mai.
Les articles et les orientations du texte sont passés en revue et selon, Marc Béziat, délégué général de l’Association nationale des gens du voyage catholiques, qui a déjà été auditionné, il y a de la part des représentants associatifs « un spectre assez large de suggestions » qui « semblent toutes converger ».
L’une des questions centrales concerne les effets de l’abrogation de la loi de 1969 sur le contrôle des entrées sur les aires réservées aux « gens du voyage ». Jusqu’ici cet accès se faisait à l’aide des documents spécifiques qui doivent être supprimés.
Reste également la question de la lutte contre le stationnement dit illicite, que des élus sont toujours prêts à mettre en avant alors que de nombreuses collectivités publiques ne respectent pas les lois sur la mise à disposition de terrains d’accueil et de grands passages. Au sujet du dispositif de contrainte budgétaire face aux collectivités publiques n’appliquant pas les lois sur ce point, les associations relèvent que cela prendra du temps alors que les expulsions de voyageurs sont, elles, menées dans l’urgence.Elles y voient donc un déséquilibre et une forme d’injustice.
Les associations ont également soulevé des questions sur le mode de domiciliation prévu, l’agrément des organismes de gestion des aires. Elles réclament notamment l’extension de la tarification sociale de l’électricité aux aires d’accueil.
Elles déplorent enfin l’absence dans la PPL de la question de la reconnaissance de la résidence mobile dans les politiques de l’habitat et du logement. L’ANGVC a de son côté proposé l’assimilation de ce type de résidence à un logement, ce qui ouvrirait notamment la voie aux versements d’aides au logement et à l’application de la trêve hivernale aux caravanes. Ce dont le pouvoir politique ne veut pas entendre parler jusqu’ici.
Si l’inscription de cette proposition de loi à l’agenda de l’Assemblée est indubitablement une avancée, les voyageurs restent prudents quant au contenu du texte et aux multiples obstacles politiques qu’il sera nécessaire de franchir avant d’obtenir l’abolition totale de ce statut d’exception. Depuis plus d’un siècle, la tendance des pouvoirs publics est de rendre le mode de vie lié à l’itinérance ou la semi-itinérance de plus en plus difficile voire impossible. De nombreux politiques et élus continuent à rivaliser de bêtise et d’ignorance en reproduisant des préjugés séculaires contre les « gens du voyage ». Et ce alors que cette itinérance est non seulement une culture ancienne qui fait partie de ce qui a fondé la France et l’Europe, mais constitue également une économie à part entière qu’il convient de préserver alors que le chômage explose en France.
La vigilance reste donc de mise face à ce texte alors que la loi ALUR et son décret d’application ont déjà apporté des déconvenues et incohérences. L’examen de cette PPL va cependant permettre de rompre avec une longue période de paralysie politique qui a une fois de plus lourdement pénalisé les voyageurs. Ces derniers demeurent, plus d’un siècle après la loi de 1912, les citoyens français les plus discriminés dans la loi comme dans les faits.
Isabelle Ligner
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Les gens du voyage pourraient devenir « Français à part entière »
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Latcho drom