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Public Sénat

François Vignal Le 31.08.2015 à 16:10

Gérard Filoche, membre du bureau national du PS et de l’aile gauche du parti, apprécie peu les propos de Manuel Valls (voir la vidéo) qui veut « revoir en profondeur » le code du travail. « Il pense aux patrons, pas aux salariés » affirme cet ancien inspecteur du travail. Manuel Valls veut « faire plaisir à Monsieur Gattaz » selon Gérard Filoche, qui affirme que « plus d’un patron sur deux est un délinquant » car ils ne payent pas les heures supplémentaires. Entretien.

Manuel Valls s’est fait siffler à l’Université d’été du PS en citant le travail de Badinter-Lyon-Caen, en affirmant que « le code du travail est si complexe qu’il en est devenu inefficace ». Il veut « revoir en profondeur la manière même de concevoir notre réglementation ». Comment avez-vous réagi en entendant cela ?
Tout premier ministre qu’il est, Manuel Valls ne connaît rien au code du travail. Il a déjà été réécrit de A à Z par la droite entre 2004 et 2008. Tous les articles de loi ont été renumérotés. Un livre sur neuf du code a été supprimé, soit 10% du code. 500 lois du code ont été supprimées, 1.500.000 signes enlevés. Tout a été réécrit pendant 4 ans par la droite. Le code n’est pas gros contrairement à ce qu’on dit Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen. Il n’est pas obèse, il fait 675 pages. Il paraît gros car il y a 3500 pages de commentaires dans l’édition Dalloz. C’est une pure question d’édition. En fait le code du travail est le plus petit de nos codes. Il est trop faible. Il est passé à la scie de la droite pendant 10 ans. Dans le projet socialiste, en 2011, l’idée était de le reconstruire.

Il faut que la loi l’emporte sur le contrat sinon c’est la loi du plus fort qui l’emportera sur le plus faible. Le code du travail défend l’Etat de droit dans l’entreprise. C’est une construction pendant 100 ans faite de luttes, de larmes, de sueur et de sang. Il s’est bâti lentement, progressivement. C’est l’indice du développement humain.

Ne faut-il pas au moins le rendre plus lisible ?
Ce sont ceux qui ne l’ont pas lu qui disent ça. Il y a 10 lois essentielles du code qui servent aux prud’hommes. Ensuite, les autres lois servent à préciser les chaussures de sécurité, le casque, la santé, l’hygiène, les délégués du personnels, les comités d’entreprises, lescomités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Tout ça demande du volume. Mais ça reste plus petit que le code pénal, le code civil, le code du commerce, celui de la sécurité sociale ou des affaires maritimes. Pourquoi on s’en prend à celui-là ? Il y a une mauvaise intention derrière.

Qu’elle est-elle ?
C’est de diminuer le droit du travail pour faire plaisir à Monsieur Gattaz. Il a dit que c’était le fléau numéro 1 pour les employeurs. Emmanuel Macron dit pareil. Quand ce sont les patrons qui rédigent le droit… Donc on utilise de faux prétextes. C’est un mensonge de dire qu’il est trop gros. C’est une manipulation intellectuelle, c’est une tromperie pour s’attaquer au droit fondamental du travail.

En 1906, on a séparé le ministère du Travail et celui de l’Economie. C’était après la catastrophe de Fourmies, dans le Nord, où 1100 mineurs sont morts au fond. Le patron avait arrêté les recherches car ce n’était pas rentable alors qu’il y avait encore surement 100 ou 200 mineurs vivants. Sous l’émotion, on a dit que le code du travail ne devait pas être subordonné à l’exigence de l’économie. Or aujourd’hui, Manuel Valls et Emmanuel Macron cassent ça. Ils veulent subordonner le droit du travail à l’économie.

Donc selon vous, on ne peut pas, comme le dit Manuel Valls, « lever les contraintes tout en protégeant » ?
C’est un mensonge. Il pense aux patrons, pas aux salariés. A-t-il dit qu’il faudrait mieux protéger les salariés contre le licenciement ? Qu’il faudrait des délégués du personnel à partir de 20 salariés comme en Allemagne, ne pas travailler au-delà de 35 degrés comme en Allemagne ? Non. Jamais il n’a dit quelque chose en direction des salariés depuis qu’il est premier ministre. Il faut bien interpréter ses propos : c’est pour plaire à Pierre Gattaz.

Le député PS frondeur Jean-Marc Germain souhaite un « code du travail 2.0 » avec « une couche très lisible », mais aussi des « protections ». C’est une bonne idée ?
Il veut en faire plus que la droite, qu’est-ce que ça va être ? Pensons à Monsieur Badinter, à qui je rends hommage pour l’abolition de la peine de mort, mais qui ne connaît rien en code du travail. Je suis contre idée qu’on puisse le réécrire. Sinon ce sera pour supprimer des droits construits pendant un siècle. Ça ne peut-être qu’idéologiquement orienté. Denis Combrexelle, désigné pour réécrire le code, est déjà celui qu’il l’a fait sous la droite. C’est un homme de droite opposé au code du travail.

Vous n’êtes pas d’accord avec ceux qui affirment que le code du travail peut parfois être un frein à l’emploi ?

C’est l’inverse. C’est le droit du travail qui renforce le droit au travail. Moins vous avez de droit au travail plus vous avez de chômage. Il y a environ un million d’heures supplémentaires non déclarées. C’est équivalent de 600.000 emplois. Si vous renforcez le droit du travail sur ça, vous pouvez faire revenir des centaines de millions d’emplois dissimulés par les heures supplémentaires. Il y a 45 milliards d’euros à faire rentrer si on renforce les contrôles contre le travail clandestin. Donc plus il y a de droit du travail, de contrôle et de sanction contre les patrons délinquants, plus il y a de chances d’avoir du boulot pour les gens. J’avais dit un patron sur deux est un délinquant. Tout le monde avait dit que j’exagérais. Mais ne pas payer les heures supplémentaires, c’est un délit. En fait c’est même plus d’un patron sur deux. Par exemple dans l’agriculture, la restauration, les transports. C’est un vol de ne pas payer les heures supplémentaires pour un employeur. Donc c’est une délinquance. Si vous avez plus d’inspecteurs du travail, on fera revenir du salaire et on sanctionnera la délinquance.

Mais les entreprises pourront-elles payer les heures supplémentaires ou embaucher ?
Mais les patrons n’ont jamais été aussi riches qu’aujourd’hui. On va me dire qu’il y a les TPE. Elles sont toujours dans le rouge. Ensuite les PME. Il y en a 190.000 mais à 80% ce sont des sous-traitants qui dépendent des grosses. Et là, c’est plus de 1000 entreprises qui font plus de 50% du PIB qui elles ont tous les moyens et licencient.

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