Les enseignants du collège d’Andouillé, souriante localité de Mayenne, ont trouvé une surprise l’autre jour dans leurs casiers: un petit papier leur demandant de s’abstenir de participer à toute manifestation “à caractère pré-électoral” et à “toute cérémonie publique” du 7 au 27 mars. Motif: la “période de réserve” en vue des cantonales.
“Nous avons d’abord cru à un canular, explique une prof. Nous nous sommes alors renseignés auprès de notre direction. La principale a répondu que cela venait bien d’elle, qu’elle recevait ce papier tous les ans par voie hiérarchique et qu’elle l’avait transmis cette fois-ci parce qu’il concernait également les agents territoriaux. Elle ne voyait d’ailleurs pas ce qui pouvait nous froisser“.
Les enseignants ont pourtant bel et bien été choqués. “Hallucinant, inquiétant, ubuesque, écrit cette prof, les fonctionnaires sont privés de leurs droits civiques pendant les périodes électorales.”
Pendant la période électorale, qui s’ouvrira le 7 mars, il leur est également demandé de s’abstenir de prendre part à toute cérémonie publique, et ce, jusqu’au 27 mars inclus.”
Cette période de réserve – qui a déjà fait l’objet de débats – n’est pas inscrite dans la loi ni dans le statut des fonctionnaire. Il s’agit d’un usage observé par l’administration à chaque élection. Sa durée – généralement 2 à 3 semaines – est fixée par les préfets. Son objectif: garantir la neutralité de l’Etat en période électorale et s’assurer qu’un fonctionnaire n’utilisera pas sa fonction à des fins partisanes.
A priori, ce sont les cadres – recteurs, inspecteurs d’académie, directeurs des services départementaux de l’Education nationale, personnels de direction… – qui sont visés. De par leurs fonctions, ils sont en effet plus susceptibles que les profs d’être invités à des débats ou à des cérémonies.
La période de réserve est à distinguer du droit de réserve (ou obligation de réserve). Selon la définition du ministère, celui-ci s’applique au fonctionnaire hors de l’exercice de ses fonctions: il implique qu’il observe une certaine modération dans l’expression de ses opinons. Par extension, le droit de réserve désigne aussi les devoirs de neutralité et d’obéissance vis-à-vis de la hiérarchie.
Devant l’émotion suscitée à Andouillé, petite commune de 2 300 âmes nichée à 110 mètres d’altitude, la principale a affiché sa source: un mail du chef de la Division des actions partenariales, de l’information et de la communication, de l’Inspection académique. L’IA l’a envoyé à tous les chefs d’établissement du département. A Andouillé, la principale a choisi de le diffuser. Ses collègues s’en sont généralement abstenus.
Le texte distribué suscite plusieurs questions. D’abord, il est un peu embrouillé. Il distingue deux périodes sans expliquer pourquoi – une première du 14 février au 27 mars, puis une seconde du 7 mars, début de la campagne officielle, où les fonctionnaires doivent en plus éviter “toute cérémonie publique“, ce qui est vaste.
Ensuite, il est abrupt: il ne dit pas si cette “réserve” s’applique au fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions et/ou en dehors. Il ne rappelle aussi à aucun moment que la liberté d’expression est une liberté fondamentale (article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen) et que la liberté d’opinion du fonctionnaire est garantie par la loi (article 6 de la loi du 13 juillet 1983). En huit lignes, il semble bel et bien interdire toute prise de parole publique d’ici les cantonales.
“Andouillé, capitale du Sarkozystan“, ironisent les profs du collège, qui veulent maintenant demander des explications à leur direction et à l’inspection.
Crédit photo: Couverture du livre d’Yves Rivière sur l’histoire d’Andouillé, remontant au 3è siècle.
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