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Droit d’asile / Dans huit villes en Alsace et 200 villes en France

Un silence de colère

Les internements et les expulsions de demandeurs d’asile ont donné naissance à un mouvement de protestation original: les Cercles de silence. Celui de Strasbourg existe depuis trois ans. Sept autres villes alsaciennes et près de 200 villes françaises ont vu éclore ces rassemblements où des citoyens se taisent pour dire leur colère. Pour accéder au dossier complet sur dna.fr, cliquer ici.

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«Ce silence, c’est la voix des sans-papiers qui n’ont aucun lieu d’expression», explique Françoise Poujoulet, déléguée régionale de la CIMADE. (Photo DNA – Christian Bach)

Une « lampe tempête » posée sur la dalle grise. Un cercle se forme autour de la petite flamme fluette puis s’élargit, étirant sa silhouette. Un gong résonne, il est 18h. Quelque 150 personnes se taisent désormais.

Il y a là des hommes et des femmes qui entrent en prière. D’autres ont enfilé une panoplie d’homme-sandwich, portant sur le dos une parcelle de la misère du monde : le récit de demandeurs d’asile venus en France dans l’espoir d’une vie meilleure.

Depuis avril 2008, c’est le même scénario le 30 de chaque mois à 18h, place Kléber à Strasbourg, pendant une heure (reportage vidéo en fin d’article). Parfois, ce Cercle de silence est précédé de la lecture d’un témoignage. Des paroles par procuration, on imagine bien qu’un clandestin ne va pas s’exprimer en public…

Des universitaires côtoient des paroissiens, une institutrice deux retraités. Une grand-mère est flanquée d’un militant des Verts et d’un jeune socialiste appuyé contre le guidon de son vélo. Tous sont venus se taire pour dire leur désaccord.

Lancés par un franciscain

Ces cercles sont nés à Toulouse en octobre 2007, puis ont essaimé à travers la France, dans 199 villes. A Strasbourg, 47 mouvements appellent au rassemblement mensuel.

Leur père est un frère franciscain toulousain, Alain Richard (*), un homme de 86 ans. Ancien membre des Brigades de la paix au Guatemala et au Sri Lanka, il cite volontiers la « marche du sel » de Gandhi. Les cercles de silence créés pour dénoncer l’enfermement des demandeurs d’asile déboutés dans des « centres de rétention administrative » prolongent la tradition des « actions civiques non-violentes ». Et leur forme minimale permet de fédérer des hommes et des femmes d’horizons très divers.

«Ce silence, c’est la voix des sans-papiers qui n’ont aucun lieu d’expression. Ces cercles rendent visible une chose invisible: qui connaît l’existence du centre de rétention administrative de Geispolsheim?» interroge Françoise Poujoulet, déléguée régionale de la CIMADE. «Les gens ne réalisent pas ce que signifient les objectifs quantifiés, les risques liés aux expulsions, cette ambiance de traque », ajoute Josée, une habituée des cercles. Charles va plus loin: «Ce qui se passe doit se savoir et doit cesser. Il faut dénoncer le discours ambiant d’un certain nombre de personnalités politiques qui finit par faire croire que la France accueille trop d’étrangers. C’est faux, tout simplement».

« Pour un simple problème administratif, on prend une mesure de privation de liberté », déplore Laurent Jung, avocat, auquel il est fréquemment arrivé d’assister des demandeurs d’asile. Les procédures ont d’ailleurs de quoi dérouter tant l’écheveau est difficile à démêler entre OFPRA et Cour nationale du droit d’asile, tribunal administratif ou tribunal de grande instance, pouvoir du juge des libertés et prérogatives, renforcées à chaque nouvelle loi, du préfet. Sans compter et ce n’est pas rare, qu’un demandeur d’asile peut faire l’objet d’une décision de placement en centre de rétention puis d’éloignement alors que des recours devant l’une ou l’autre juridiction sont encore sans réponse.

On n’arrache pas un père ou une mère à ses enfants

Mais l’inventaire des griefs est plus large : on n’arrache pas un père ou une mère à ses enfants, on n’enferme pas des enfants dans un centre de rétention qui a tout d’une prison, on ne renvoie pas une personne gravement malade dans son pays d’origine où elle n’aura pas accès aux soins, on ne brise pas la vie de quelqu’un qui l’a construite ici depuis une décennie, énumère Simone Fluhr. Travailleurs sociaux et militants engagés dans les associations d’aide aux étrangers, confrontés à des situations inhumaines, sont amers. Et souvent épuisés.

Difficile d’avoir des informations précises sur l’ampleur du problème dont l’opinion publique est saisie par intermittence, quand une trentaine de familles avec enfants investit un bâtiment désaffecté de l’ancien hôpital civil ou quand une étudiante algérienne est interpellée dans sa chambre de cité U.

Mais on trouve un écho dans l’allocution de Patrick Kintz, président du tribunal administratif de Strasbourg, à l’audience de rentrée il y a quelques semaines. En 2010, les refus de titres de séjour assortis d’une obligation de quitter le territoire ont atteint une telle ampleur que « toutes les cinq chambres du tribunal s’y consacrent en formation collégiale en sus de leurs spécialités habituelles ». Les reconduites à la frontière ont, elles, « localement battu tous les records. Quelque 600 procédures de ce type, soit 10% de plus qu’en 2009 ont ainsi été traitées ». Une situation « qui met mal à l’aise » dans un tribunal débordé. Et Patrick Kintz de citer Albert Camus: «La démocratie, ce n’est pas la loi de la majorité, mais la protection des minorités».

Christian Bach

Témoignage

Offrir l’asile et partager la peur

“On craignait qu’ils se fassent embarquer à tout moment”, racontent Sabine et Eric Schiffer qui ont hébergé à leur domicile, à Strasbourg, une famille georgienne pendant cinq mois. Lorsqu’ils ont pris la décision d’accueillir des sans-papiers dans leur appartement, ils « n’avaient pas mûrement réfléchi». Mais, « parce qu’il n’y avait une urgence humanitaire », eux et leurs trois enfants ont partagé leur toit avec un couple et leurs deux fils de 20 et 13 ans, issus de la minorité Yézidi.

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Face au manque de places dans les hébergements d’urgence, certains étrangers en situation irrégulière se retrouvent à la rue. Certains particuliers sont prêts à les héberger en dépit des poursuites pénales (Photo DNA Archives- Laurent Réa)

Déjà militants auprès du Collectif pour l’accueil des solliciteurs d’asile à Strasbourg (CASAS), les Schiffer s’étaient engagés à parrainer cette famille pour l’été 2009 via le Réseau éducation sans frontière (RESF). Pendant les grandes vacances, les institutions et associations fonctionnent au ralenti, alors les étrangers en situation irrégulière sont plus vulnérables. Il s’agit de garder un œil sur eux, comme l’explique le couple.

Les Schiffer expliquent leur rôle de parrain (écouter ci-dessous)

En septembre 2009, parce qu’ils ne remplissaient pas les critères, les quatre membres de la famille georgienne se voient refuser le statut de demandeurs d’asile. Le « 115 », s’entend l’hébergement d’urgence, n’a plus de place. Pour éviter qu’ils ne dorment dans la rue, les Schiffer décident d’ouvrir leur porte.

Sabine et Eric Schiffer sont conscients des risques qu’ils ont courus, des poursuites dont ils pouvaient faire l’objet. Mais, les inquiétudes sont vite oubliées au profit d’une vie de familles atypique.

Le couple avait surtout peur pour ses protégés (écouter ci-dessous)

En repensant à cette cohabitation d’un genre particulier, Eric Schiffer explique que : « la vie en communauté s’est très bien passée, tout naturellement. Ils ont tenu dès le début à ne pas être une charge pour nous. Nous communiquions par gestes et par mots simples ». Les deux foyers partagent angoisses et fêtes de famille, corvées domestiques et démarches administratives. La somme de souvenirs et d’anecdotes qu’égrènent les Schiffer témoigne d’une véritable aventure humaine avant d’être un engagement citoyen.

Une cohabitation simple selon Sabine et Eric Schiffer (écouter ci-dessous)

Sabine et Eric Schiffer ne pensent pas se réengager tout de suite dans « une autre aventure » où la demande de papiers s’apparente à un véritable parcours du combattant. « A chaque refus de l’administration, il faut tout recommencer. Et même nous, on y perd à chaque fois un peu plus de courage », résument-ils.

Un engagement loin d’être anodin pour cette famille (écouter ci-dessous)

Un an après que leurs protégés aient fait leurs valises pour retourner à l’hébergement d’urgence, Sabine et Eric continuent de les accompagner dans leur demande de régularisation. Mais aussi de partager avec eux les fêtes de noël et les anniversaires. Comme une grande famille.

recueilli par Pauline Croquet

Plus de latitude aux préfets

Adoptée en deuxième lecture par le Sénat le 14 avril, la nouvelle loi sur l’immigration (la cinquième en sept ans) dite « loi Besson » doit encore être examinée en commission mixte paritaire, par les députés et sénateurs qui n’arrivent toujours pas à s’entendre.

Parmi les principales mesures, l’allongement de la durée de rétention d’un étranger en situation irrégulière. Aujourd’hui, celui qui doit être expulsé peut être placé en centre de rétention jusqu’à 45 jours au lieu de 32.

Ensuite, le juge des libertés et de la détention intervient au bout de quatre jours d’enfermement au lieu de deux. La durée de privation de liberté sur simple décision administrative pour les étrangers sous le coup d’une mesure d’éloignement devient plus longue.

Les conditions d’obtention d’un titre de séjour pour raisons de santé des étrangers malades doivent être encore reformulées, dans le sens d’une restriction.

La loi prévoit aussi le renforcement des sanctions pénales à l’encontre des étrangers qui auraient contracté un « mariage gris ».

En 2010, dans le Bas-Rhin, les forces de l’ordre ont relevé 2162 séjours irréguliers, un tiers des 6000 requêtes (34%) examinées par le tribunal administratif de Strasbourg concernaient spécifiquement le contentieux des étrangers en situation irrégulière. P.C.