Publié lundi 2 mai 2011

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Il n’est plus possible, depuis jeudi 28 avril, d’emprisonner un étranger au seul motif qu’il est en situation irrégulière. Il peut toujours être placé dans un centre de rétention en attendant son expulsion, mais plus en prison, même s’il n’a pas obéi à un ordre de quitter le territoire. La décision de la Cour de justice de l’union européenne, à Luxembourg, a cueilli à froid le gouvernement français qui emprisonne les sans-papiers depuis 1938. Mais elle est d’application immédiate, et les étrangers qui purgent une peine pour séjour irrégulier sont donc aujourd’hui détenus arbitrairement.

Le coup de tonnerre est venu d’Italie. Hassen El Dridi, un Algérien entré illégalement dans la péninsule, a reçu en mai 2010 l’ordre de quitter le territoire dans les cinq jours. Il n’a bougé, et lorsqu’il a été interpellé le 29 septembre 2010, il a été condamné à un an de prison. La Cour d’appel de Trente s’est alors demandé si la seule violation d’un ordre de quitter le territoire pouvait justifier une peine de prison, la Cour de justice de l’Union européenne a clairement répondu non.

« L’Europe déjà ne nous aide pas, mais aujourd’hui elle nous complique la vie, a déclaré Roberto Maroni, le ministre italien de l’intérieur. Mais pourquoi l’Europe ne s’en prend-elle qu’à l’Italie ? » Le ministre n’a pas bien saisi la portée de la décision : la Cour de Luxembourg veille à l’application du droit de l’Union européenne, et s’impose évidemment à tous ses membres, dont la France.

Le directive retour
Dans son arrêt du 28 avril (le communiqué de presse est moins aride), la Cour s’appuie sur « la directive retour », adoptée par l’Union européenne, et entrée en vigueur le 13 janvier 2009. Cette directive avait fait frémir les associations parce qu’elle durcissait sérieusement les conditions d’éloignement des étrangers, en portant notamment la durée maximale de rétention à dix-huit mois. Mais la Cour, pour la seconde fois, s’applique à faire exécuter à la lettre la Directive avec une jurisprudence plus conforme à la défense des libertés fondamentales.

Lorsqu’il est décidé de renvoyer un sans-papier, il a 7 à 30 jours pour partir de lui-même. S’il ne s’y conforme pas, les Etats peuvent utiliser « en dernier ressort » des mesures coercitives « proportionnées », c’est à dire un placement en rétention, « aussi bref que possible ». Ce n’est qu’en cas de refus d’embarquer qu’il est possible d’envisager des mesures pénales. Ainsi, conclut la Cour, la directive « s’oppose à une réglementation d’un Etat membre (…) qui prévoit l’infliction d’une peine d’emprisonnement à un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier pour le seul motif que celui demeure, en violation d’un ordre de quitter le territoire (…) sur ledit territoire sans motif justifié ».

Etre sans-papiers est déjà un délit
Or, en France, être sans papiers est déjà un délit (art. L621-1 du Code des étrangers) et risque un an de prison et 3750 euros d’amende. Il est alors placé en garde à vue, le parquet décide ensuite soit de le renvoyer devant le tribunal, soit dans la très grande majorité des cas, de le remettre à la préfecture et de classer le dossier : on passe d’une procédure pénale à une procédure administrative. Le préfet, s’il ne régularise pas l’étranger, délivre un APRF, un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière. L’étranger a sept jours pour partir, il peut aussi être directement placé dans un centre de rétention avant son expulsion.

Un étranger qui n’a pas respecté cet ordre de quitter le territoire – ce qui est souvent le cas – commet un nouveau délit, « une soustraction d’APRF » et encoure trois ans de prison (art. L624-1 ). La jurisprudence de plusieurs tribunaux de région parisienne est dans ce cas de « trois mois, trois ans », trois mois de prison ferme et trois ans d’interdiction du territoire français (ITF). Une « soustraction d’ITF » est à son tour punie de trois ans de prison.

La décision de la Cour de justice rend désormais impossible ces condamnations et peu importe que la France, pas plus que l’Italie, n’ait encore transposé la directive dans son droit interne : « selon une jurisprudence constante, (…) les particuliers sont fondés à invoquer contre cet Etat les dispositions de cette directive ». Elle donne même le mode d’emploi : « il appartiendra à la juridiction de renvoi » – en France, la cour d’appel – « de laisser inappliquée toute disposition (…) contraire au résultat de la directive ».

La fin du délit de solidarité ?
Les conséquences sont importantes. Les prisons risquent de se vider et les centres de rétention se remplir. Mais si être sans-papiers n’est plus un délit, est-il encore possible de placer l’étranger sans titre en garde à vue ? Et l’aide au séjour, le « délit de solidarité », puni de cinq ans de prison et de 30 000 euros d’amende, restera-t-il une infraction ? Même la loi Besson, qui sera examinée le 5 mai par la commission mixte paritaire du parlement, devra probablement être revue ; elle prévoit en son article 73 une peine de trois ans de prison contre les personnes qui ne respecteraient pas leur obligation de quitter le territoire. « La décision de la Cour remet globalement en cause le système d’infraction au séjour, explique Serge Slama, maître de conférence en droit public à l’université Evry-Val d’Essonne. Le délit remonte aux décrets Dalladier de 1938. Cela ne veut pas dire que toute pénalisation est interdite, mais seulement en bout de chaîne, lorsqu’on a appliqué toutes les mesures prévues par la directive. »

Pour les ministères de l’intérieur et de la justice, la décision de la Cour impose « une analyse approfondie ». Il est déjà fort difficile de savoir combien d’étrangers sont condamnés pour infraction au séjour (Le rapport au parlement de mars 2011 du Secrétariat général du Comité interministériel de contrôle de l’immigration donne quelques précieuses indications). 80 000 APRF ou ordres de quitter le territoire ont été prononcés en 2009, ils n’ont été exécutés à hauteur de 20%. Chaque sans-papier pouvant avoir reçu plusieurs sommations de quitter le territoire, les associations estiment autour de 40 000 le nombre de personnes qui encouraient une peine de prison, aujourd’hui illégales.

Cette décision « marque un coup d’arrêt majeur aux politiques de pénalisation des étrangers en situation administrative irrégulière, estiment dans un communiqué plusieurs associations, dont le Syndicat de la magistrature, le Gisti ou la Cimade. Dès aujourd’hui, les juges français doivent refuser de condamner à l’emprisonnement tout étranger qui ne s’est pas conformé à une décision administrative ou judiciaire d’éloignement. »

Lire aussi l’analyse de Marie-Laure Basilien-Gainche, dans Combats pour les droits de l’homme