Médias
Quel projet pour l’Est Républicain ?
Par Pierre TARIBO • Journaliste de La Semaine • 17/08/2011 à 17h42
Les salariés ont vu, écouté Michel Lucas. Seule certitude, le passé est révolu.
Le journal est en situation de cessation de paiement ! » La déclaration fracassante de Michel Lucas le nouveau patron de l’Est Républicain a fait mouche. Difficile à accepter pour Gérard Lignac l’ancien actionnaire majoritaire qui s’est empressé de démentir dans un communiqué précisant « que le groupe était en mesure de faire face financièrement à toute échéance de règlement, liées à l’exploitation du titre, » elle a été diversement interprétée.
Certains y ont vu un diagnostic brutal dénonçant des lourdeurs structurelles, des laxismes coupables dans la gestion des comptes, des désordres et des erreurs de pilotage dans une maison mal tenue. D’autres l’emploi d’un bulldozer pour mieux changer de politique, c’est-à-dire le passage à la rigueur, aux mutualisations, à la réduction des effectifs.
Discours churchillien
Quels que soient les pronostics sur l’avenir, cette intervention bien dans la lignée du personnage, reflète pourtant la réalité : c’est le Crédit Mutuel qui assure depuis un certain temps les fins de mois de l’Est Républicain. Que le quotidien régional implanté en Lorraine et en Franche Comté ne gagne pas d’argent est tout sauf un scoop. D’ailleurs il n’est pas le seul à être dans ce cas en France où la presse ne va pas bien. Mais en appuyant sur la plaie, Michel Lucas a lancé un énorme pavé dans le jardin de l’ancienne direction dont il paraît se défier. Manière aussi pour lui de préparer la voie à des réorganisations difficiles à faire passer auprès des salariés que ce discours churchillien est loin de rassurer.
Qu’importe Michel Lucas n’aime pas biaiser avec la réalité. Lorsque les clignotants sont au rouge, en la circonstance on pourrait même dire cramoisis, il le dit sans fioritures ni précaution de langage. Pour lui le débat est clos : priorité à l’assainissement financier. Ceux qui l’ont écouté, observé lors de sa première prise de contact avec les élus du comité d’entreprise puis l’ensemble du personnel, ont bien compris qu’il n’était pas du style à se faire des nœuds au cerveau. S’il faut procéder à un grand ménage, il ne battra pas en retraite devant les difficultés. Il assumera toutes les exigences de l’opération sans s’attarder sur les questions de forme ou des pudeurs de vocabulaire. Pour lui, vouloir c’est pouvoir, surtout lorsque l’obligation de remettre les comptes à flots constitue le marqueur principal de sa politique à la tête de l’Est Républicain.
On dira que la nécessité de s’astreindre à cette discipline n’exclut pas le dialogue social. Sauf que Michel Lucas considère que la raison, le sens des responsabilités et les réflexes de survie commandent de s’atteler à la tâche sans tendre le climat par des revendications. Il n’attend pas non plus des scènes de liesse, juste suffisamment de pragmatisme et de lucidité pour que l’entreprise reconsidère sa façon de vivre et de travailler sans osciller en permanence entre conservatisme et mouvement.
Des choix et des pôles
A problème urgent solution drastique estime le président du Crédit Mutuel qui d’emblée fixe les limites de la discussion en rappelant « qu’il se laisse toujours la possibilité de dire non. » Le message est clair : il ne sous-estime pas le poids des partenaires sociaux mais il indique sa vision des rapports de force et son refus de composer dès lors qu’il s’agit de consolider puis de relancer la machine.
Lors de sa venue à Nancy le 1er août, Michel Lucas a laissé entendre qu’il y aurait des choix à faire entre l’Est Républicain et le Pays de Franche Comté (émanation du journal l’Alsace qui appartient à la galaxie presse du Crédit Mutuel) sur le Territoire de Belfort. Dans le même esprit de rationalisation des forces et des moyens rédactionnels et industriels, on sait déjà que des pôles sont à l’étude aussi bien dans le secteur Bourgogne-France Comté qu’en Lorraine où les mutualisations entre les titres devraient s’accélérer. En attendant il ouvrira la clause de cession pour les journalistes en septembre et confie provisoirement les clés de la maison à Pierre Wicker le directeur général du Républicain Lorrain. Après les années Lignac où l’indépendance et la liberté d’expression plongeaient leurs racines dans le traitement de l’actualité, on a bien compris qu’il faudrait désormais choisir entre l’hyper-concentration, le pluralisme et l’appauvrissement de l’offre ou plus clairement entre ce qui dure et qui depuis des années fait semblant de durer.
En banquier qui se respecte, Michel Lucas fonctionne d’abord à la rentabilité. Voilà qui conduit l’Est Républicain à sortir des ajustements conjoncturels pour repenser ses rapports internes et ses structures d’organisation. Cela mériterait un débat et surtout une vraie concertation. Les propos de leur nouveau patron ont bien fait comprendre aux salariés que nécessité financière faisant loi, la rupture serait complète, brusque au besoin et forcement désagréable à encaisser. Tout finit et tout recommence. Pour quel projet ? La suite l’indiquera.
Cet article est paru le 11 août dans l’hebdomadaire La Semaine n° 332
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